dimanche 30 septembre 2012

La grande illusion... ou les dindons !


La concertation voulue par M. Peillon, ministre de l’Éducation nationale, et qui va bientôt clore ses discussions pour provoquer la ponte d'une loi d'orientation, ne serait-elle qu'une grande illusion? C'est bien entendu ce que je crois, ne serait-ce que parce que les hauts fonctionnaires en charge des écoles, en dépit du changement de gouvernement, sont toujours les mêmes que ceux des années passées. Ce n'est pas une très légère et très récente valse des recteurs qui y changera grand-chose: la politique éducative française n'est pas imaginée par le ministre mais par la Direction des écoles, qui ne peut qu'avoir conservé ses habitudes et ses envies, même si elle fait mine d'apporter aux textes qui nous régissent quelques aménagements cosmétiques.

Tiens, une question me vient soudain à l'esprit: la fameuse "veille internet" du gouvernement précédent est-elle toujours en place? Messieurs, bonjour, et tous mes vœux à vos dames.

La question de la direction d'école en France n'est donc pas prête d'être mise sur la table. M. Peillon lui avait de toute façon réglé son compte rapidement en juillet dernier, déclarant que le gouvernement n'avait pas les moyens d'y changer grand chose. Au moins, c'était clair. Que partout des voix s'élèvent, du terrain comme des divers interlocuteurs du ministre, pour rappeler que les directeurs d'école sont la cheville ouvrière du fonctionnement de l'institution, le ministre s'en bat l’œil. Que chacun lui rappelle également qu'un changement du fonctionnement de l'école ne peut être appliqué sans l'implication des directeurs d'école, le ministre s'en bat l’œil. Ce qui compte, c'est de donner l'impression de faire quelque chose. Ce gouvernement va donc donner la priorité, c'est ce qu'il dit, à l'embauche de nouveaux enseignants qui seront hypothétiquement formés par un organisme qui n'existe pas et dont personne ne sait rien. En soi, c'est certainement une bonne chose. Mais encore faudra-t-il les trouver, ces nouveaux enseignants... Quand vous avez bac+4 ou 5, vous n'avez pas forcément envie de bosser comme un malade dans un coin perdu ou pourri avec des élèves innommables pour toucher des clopinettes. Mais bon.

Les directeurs d'école, qui fonctionnent aujourd'hui on ne sait trop comment, qui font en cette rentrée des journées de 12 à 14h, vont donc continuer en dépit de tout bon sens à faire deux métiers à la fois. J'imagine un pilote d'Airbus faisant en même temps le service en cabine... Mais M. Peillon compte bien entendu sur notre conscience professionnelle, et malheureusement il a raison: nous ferons tous, nous autres directeurs d'école exploités jusqu'à la moelle, tout ce que nous pourrons pour que nos écoles "tournent". Des bons cons, quoi. Nous sommes comme de juste les dindons d'une farce cruelle qui n'est pas prête de finir.

Vous préférez quoi: Renoir ou Feydeau? "La grande illusion" ou "Le dindon"?

Il y a quelques décennies, être directeur d'école était une sinécure consistant en gros à remplir un registre matricule avec les noms des élèves nouvellement admis dans l'école, et à faire les gros yeux à un élève indiscipliné, tant était importante l'aura de la direction d'école. Essayez donc aujourd'hui, tiens, si vous ne vous prenez pas une baffe de l'élève en question ou de son grand frère ou de sa mère ou... vous pourrez vous estimer heureux. Ils ne sont pas fous, les parents d'élèves, ils voient bien comment l' État nous traite! Pourquoi diable en feraient-ils autrement?

Après l'abandon des "maîtres-directeurs" dans les années 80, suite à des grèves et autres manifestations menées par des syndicats rétrogrades aux cris de "Non aux petits chefs!", grèves et manifestations que les enseignants de l'époque ont bien entendu suivies sans réfléchir, c'est la Loi d'orientation de M. Jospin en 1989 qui a changé la donne, en accordant aux directeurs d'école, présidents des Conseils d'école et des Conseils de maîtres, une responsabilité pédagogique qu'auparavant ils ne possédaient pas. Travailler sur projets devenait la norme dans les années qui suivirent, impliquant pour les directeurs un rôle d'animateur d'équipe pour lequel ils n'étaient pas formés, et qui changeait fortement la teneur de leur responsabilité comme son ampleur. Si on y ajoute toutes les mesures sécuritaires qui suivirent, le directeur d'école étant aujourd'hui tenu pour pénalement responsable de la sécurité de ses élèves comme de son école, dans le lieu même comme en déplacement, le rôle des directeurs d'école n'avait plus rien à voir avec ce qu'il était quinze ou vingt ans auparavant.

Les réglementations qui tombèrent dru dans les années 2000 ne firent qu'empirer la situation, les mesures et responsabilités s'accumulant sans qu'aucune autre soit retranchée, asphyxiant peu à peu les directeurs d'école sous une avalanche de devoirs envers les familles et l’État, sans qu'évidemment aucune contrepartie soit accordée, à part peut-être -soyons honnête- une légère évolution des conditions de décharge. En refusant le statut de "maître-directeur", les instits des années 80 s'étaient bien plantés, et ce sont les directeurs d'école d'aujourd'hui qui s'en mordent les doigts. Mangez des raisins verts...

Si on ajoute à tout ça la profonde inertie de nos représentants syndicaux, le bilan est lourd. Oh, je sais bien, certaines centrales disent soutenir l'action menée par le GDID. Mais disons-le clairement: entre le soutien total des tous petits syndicats qui poussent l'idée d'un statut particulier pour les directeurs d'école parce qu'ils n'ont rien à y perdre mais tout à y gagner, le soutien mitigé d'autres centrales qui nous jouaient du pipeau activement avant les élections professionnelles et aujourd'hui se contentent des réclamer quelques aménagements parcimonieux en temps ou en argent qui ne coûtent rien à demander car ils ne seront jamais accordés, et l'absence totale de soutien de certaines autres centrales qui nient notre charge et tiennent absolument contre toute évidence et pour des raisons idéologiques surannées à ce que le directeur d'école ne soit surtout pas distingué d'autrui -nous sommes tous frères-, le choix à faire n'est surtout qu'une absence totale de choix.

Que devons-nous alors attendre de cette concertation et de la Loi d'orientation qui suivra? Pour l'école primaire (élémentaire et maternelle), un changement cosmétique des rythmes scolaires qui nous demandera de travailler le mercredi matin et supprimera mathématiquement la nocive "aide personnalisée" pondue par les hauts fonctionnaires -toujours en place, eux- du ministère alors administré par Xavier Darcos -ministre oubliable et heureusement oublié, qui n'était pas grand-chose et qui n'est aujourd'hui plus rien-. Tout ça pour ça? Oui messeigneurs. Et pour les directeurs d'école? Ah mais, peau de zébie, mes amis. Dans le meilleur des cas, nous aurons une jolie déclaration pleine de bons sentiments à notre égard, soulignant notre rôle important, et mettant en avant à quel point la France compte sur nous pour appliquer toutes les nouvelles mesures... Vous travaillez pour la Nation, mes très chers collègues. Vous êtes les cadres les plus mal payés de l'OCDE, vous bossez comme des malades sans contrepartie ni estime de votre hiérarchie, vous faites deux métiers en même temps, mais il faut que vous vous fassiez une raison: les français s'en balancent, vos parents d'élèves s'en foutent, votre ministre de tutelle n'en a rien à carrer et votre hiérarchie s'en tamponne le coquillard. 

Occupez-vous donc, entre maths et grammaire, ou entre le langage et la salle de jeux, des élections des parents d'élèves qui approchent. Et je n'ai aucun conseil à vous donner, sauf peut-être à tout laisser tomber, et à envisager de demander au prochain mouvement un tranquille poste d'adjoint. Moi, en tout cas, je l'envisage sérieusement.

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