vendredi 14 septembre 2012

Les Sabines...


Il y avait à Montmartre, dans la rue de l'Abreuvoir, une jeune femme prénommée Sabine, qui possédait le don d'ubiquité. Elle pouvait à son gré se multiplier et se trouver en même temps, de corps et d'esprit, en autant de lieux qu'il lui plaisait souhaiter.

C'est ainsi que débute "Les Sabines", une magnifique et très drôle nouvelle de Marcel Aymé parue en 1943 dans le recueil "Le passe-muraille". Ceux qui ont apprécié le titre de ce blog peuvent deviner à quel point j'aime Marcel Aymé, qui pour moi est un de plus grands auteurs français.

"Les Sabines" se termine tragiquement. Marcel Aymé n'est pas un moraliste, mais un penseur qui sait cacher le fruit de sa réflexion derrière un humour éclatant. Chaque Sabine ressent ce que ressentent les autres Sabines, et les excès finissent par toutes les unir dans un final dramatique, ironique, et logique.

Pourquoi je vous raconte tout ceci? Simplement parce qu'au cours de cette journée le directeur d'école que je suis a soudain ressenti une forte similitude entre Sabine et lui. Aujourd'hui je me suis multiplié, aujourd'hui je fus en même temps enseignant avec une progression des apprentissages à organiser, père putatif de ma trentaine d'élèves de quatre et cinq ans qui réclament tous individuellement attention et affection, conseiller en parentalité pour mes familles inquiètes, responsable de locaux qui exigent d'être rénovés, consolateur d'ATSEM à la vie familiale perturbée, conseiller auprès d'une municipalité attentive mais qui réclame mon opinion sur de nombreux points, gestionnaire administratif d'une école dont on me réclame le plus vite possible -on ne vous en laisse jamais vraiment le temps- effectifs et noms et adresses des familles et autres détails, organisateur de scrutin compliqué avec justificatifs divers à fournir à une hiérarchie qui doit certainement s'ennuyer, photocopieur forcené des documents les plus divers, prévisionniste de réunions et conseils divers dont on doit six mois à l'avance -comme si c'était possible- prévoir dates et contenus, nettoyeur de vomi impromptu, soigneur de bobos au genou et à l'âme, raconteur d'histoire, chanteur, rangeur de perles répandues sur 25 m², réparateur d'imprimante avec bourrage de papier, habilleur et monteur de fermetures éclair et boutonneur et laceur de chaussures, coureur de fond pour attraper un téléphone portable oublié dans une salle lors d'un précédent passage, preneur de rendez-vous divers, expliqueur des arcanes de l’administration pour un public de parents attentifs auquel il faut donner les moyens de contacter un médiateur de l'éducation nationale ou le RASED ou le référent pour le handicap, colleur d'affiche moche pour ce même handicap, récupérateur et imprimeur de Circulaire administrative de neuf pages dont neuf pages d'exigences menaçantes pour une ligne de vœu de bonne rentrée, sourieur pour tout le monde même pour ceux qu'on n'aime pas, lecteur de courriel académique avec 15 pièces jointes -je ne blague pas!-, pied-de-grue pour attendre un parent qui arrive une demie-heure en retard pour récupérer son enfant parce qu'il était au cinéma et que le film était plus long que prévu -véridique!-,  et j'en oublie certainement la moitié parce que je suis rentré à la maison à 20h15 et que je suis fatigué.

Aujourd'hui, j'étais une Sabine.

Monsieur le Ministre, les directeurs d'école sont des gens de bonne composition. Mais moi, là, franchement, sincèrement, je fatigue, je sature, j'en ai marre. C'est quelque chose comme ma trente-cinquième rentrée et je n'en peux plus de voir chaque année, malgré tous les beaux discours et tous les bons sentiments, notre charge de travail s'aggraver et se précipiter. Faites quelque chose, dites un mot pour nous montrer que vous savez ce que nous faisons pour l'école. Supprimez l'aide personnalisée, déjà au moins pour les directeurs d'école -ça ne coûte rien, Monsieur le Ministre!-, avant de la supprimer totalement pour tout le monde. Demandez à vos DASEN et vos IEN de ralentir la machine, demandez-leur d'arrêter de nous broyer sous les exigences les plus diverses et les plus ahurissantes. Demandez-leur de nous respecter, et respectez-nous vous-même. S'il vous plait.

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