vendredi 21 septembre 2012

Retour sur Debarbieux/Fotinos...


Je reviens aujourd'hui sur l'enquête qu'Eric Debarbieux et Georges Fotinos ont sortie hier, et dont j'ai parlé dans mon dernier billet.

Effectivement, ce dossier dense mérite de la part des directeurs d'école une meilleure lecture que celle transversale et lapidaire des médias. Ne serait-ce que parce qu'on y évoque beaucoup les directeurs d'école, dont manifestement le mal-être a certainement beaucoup frappé les deux auteurs du rapport.

Revenons d'abord sur la perception globalement positive que les enseignants ont de leur propre école. Voici ce qu'écrivent Debarbieux et Fotinos:

Ce sont très significativement les directeurs qui ont une vision très positive de leur école, et ce qui est intéressant quelque soit le niveau de décharge de service.Le climat scolaire est décrit comme beaucoup plus positif à partir du moment où l’on est directeur d’école. Ainsi dans les écoles 52% des directeurs jugent le climat bon (note la plus forte) 37,4% de leurs adjoints portent la même appréciation. Ceci est indépendant du fait d’être ou non déchargé de classe : ce n’est pas parce qu’ils sont en face ou non d’élèves que la vision des directeurs est différente, mais probablement car ils s’identifient plus à une dimension « communauté scolaire » dont ils sont les garants.

L'analyse des auteurs est ici la bonne: les directeurs d'école ont une vision des choses moins monocentrée que leurs adjoints, car leur perception du "climat" est liée à un subtil mélange de qualité des apprentissages, de qualité des rapports entre enseignants, de qualité des rapports avec les familles, et enfin de qualité des rapports avec la municipalité. Un directeur d'école passera sans problème sur une difficulté passagère s'il voit que le reste tourne bien.

En ce qui concerne la victimation spécifique des directeurs d'école, voici ce que l'enquête révèle:

Ainsi les personnels se disant les plus insultés (51% vs 36% en moyenne) sont les directeurs avec décharge complète. Ce sont eux aussi qui disent avoir reçu le plus de menaces (30% vs 17% en moyenne) et ils ont même été un peu plus bousculés (7,2 vs 6,2%) ou frappés (4,9% vs 4,1%) que les enseignants. C’est au niveau des auteurs que les différences sont les plus sensibles. Les plus victimes de groupes d’élèves sont les remplaçants. Les enseignants sont surtout victimes des élèves et les directeurs des parents. Malgré leur rareté, les violences physiques par les parents atteignent de manière plus fréquente les directeurs, surtout dans les plus grosses écoles : 2,1% des directeurs avec décharge complète sont bousculés par des parents (1,8% avec demi-décharge, 1% avec quart de décharge et 0,9% sans décharge contre 0,6% pour les enseignants). De même 0,7% des directeurs des grosses écoles sont frappés par des parents, ce qui est peu mais plus fréquent que pour leurs adjoints (0,1%) ou les directeurs des écoles sans décharge (0,0%).

Ce n’est cependant pas au niveau de la violence physique que le problème est le plus fréquent. Le tableau suivant, qui concerne les insultes révèle ainsi très clairement la surexposition des directeurs à une violence verbale par les parents, surexposition qui est fonction de la taille de l’école.

Cliquez pour agrandir l'image.
Il en va de même pour les menaces.


Les fonctions de direction en primaire ne sont donc pas toujours les plus enviables ou les plus simples. Ainsi 17,2% des directeurs s’estiment harcelés vs 13% de leurs adjoints et 7% des personnels de RASED.

L'idée que la possibilité d'être violenté pour un directeur d'école augmente en proportion de la taille de l'école est évidemment facilement compréhensible: il est beaucoup facile d'entretenir des rapports mutuels empreints de respect voire de cordialité avec 50 familles qu'avec 250, d'autant que -comme je l'avais exposé dans un billet précédent- le temps disponible pour les relations avec les familles n'est pas forcément proportionnel à la taille de l'école, certaines configurations étant très difficiles (les écoles à 8, 9 ou 13 classes, par exemple, dans lesquelles le directeur est surchargé). De plus, lorsqu'on a affaire à la majorité d'une population, ce qui est le cas de l'école publique française qui scolarise tout le monde sans tri ni refus, il est évident que la possibilité de croiser un parent violent augmente en proportion du nombre de familles dont les enfants sont scolarisés.

A mesure que l'on s'enfonce dans l'enquête de Messieurs Debarbieux et Fotinos, la question de la direction d'école se montre de plus en plus prégnante. C'est bien en ce sens que j'écrivais en tête de billet que s'arrêter aux formules lapidaires des médias serait fort dommage, et même dommageable.

Voici ce que l'on trouve un peu plus loin:

Exercice du métier : état d’esprit actuel

Au regard des récentes enquêtes sur les risques psycho-sociaux de l’exercice du métier des personnels des lycées et collèges (Fotinos et Horenstein) il nous a semblé cohérent d’approcher ce champ pour les directeurs de l’école primaire. Trois items particulièrement significatifs ont été retenus. Les résultats paraissent très révélateurs d’un certain esprit :

  • 31% ne peuvent s’adresser à personne en cas de problème dans l’exercice du métier (même pourcentage de réponses pour les deux catégories de directeurs). A noter que pour les personnels de second degré, ce taux est de 27%.
  • 84,3% répondent qu’ils ne sont pas formés à la gestion des ressources humaines nécessaire à leur fonction. Réponse plus accentuée pour les directeurs maternelle (88%)
  • 40,4 % déclarent qu’ils pensent souvent quitter leur travail (même taux de réponses pour les deux catégories de directeurs). A noter que ce taux pour les personnels du second degré est de 28%.

D’une façon générale, les éléments de signalétique qui distinguent les directeurs (hors variable “décharge”) des enseignants sont un âge plus avancé et une ancienneté plus importante à l’Éducation Nationale, une faible ancienneté dans la fonction (près d’1 sur 2 a moins d’un an) et un niveau de diplôme moins élevé que les enseignants avec surtout le passage par l’école normale (plus d’1 sur 4). Leur appréciation du climat d’école est plus positive que celle des enseignants et sensiblement égale à 7 ans d’intervalle. Quant à la qualité de vie au travail, bien que l’environnement relationnel apparaisse dans certains domaines positif pour 75% à 95% (relations avec les élèves, valorisation par les enseignants, respect de parents ), elle est marquée par le manque de formation pour ”diriger” (plus de 8 directeurs sur 10), le manque de soutien de la part de la hiérarchie (près d’un directeur sur 2 et surtout – ce qui nous paraît le plus inquiétant - : la solitude professionnelle (1 directeur sur 3) et la tentation de “démission” (2 directeurs sur 5 pensent souvent quitter à leur travail).

Les résultats de l’enquête de victimation permettent de penser que la violence, le sentiment d’insécurité et les agressions participent pour partie à cette “démobilisation” préoccupante. En effet au cours de l’année, seulement une école élémentaire sur 3 et moins d’une école maternelle sur 2 ont déclaré n’avoir eu aucun de problèmes de violence et seulement 6 directeurs d’école élémentaire et 7 directeurs d’école maternelle déclarent ne s’être jamais fait insulter au cours de l’année.

Toutes ces informations conduisent à percevoir l’existence d’une certaine unité de point de vue, un vécu semblable et des appréciations souvent similaires sur l’exercice du métier de la part des directeurs d’école maternelle et d’école élémentaire .La « primarisation rampante »de l’école maternelle relevée par plusieurs études et organisations pédagogiques ne serait-elle pas un des éléments explicatif de cette situation ?

Je n'ai pas trop grand chose à ajouter à ces chiffres ni à leur analyse. Sauf à dire que les directeurs d'école qui me lisent, en particulier ceux du GDID, savent que quelle que soit notre région d'exercice ou notre niveau d'enseignement -maternelle ou élémentaire-, nos problèmes sont les mêmes, ou souvent similaires, à quelques variantes près. Notre ressenti, surtout, est lui parfaitement identique, en particulier notre sentiment d'abandon et de mépris de la part de notre institution de tutelle, alors que nous sommes souvent très bien considérés et respectés par les familles et les municipalités.

Quoique...

Lisant régulièrement les forums privés du GDID, je sais combien de collègues directeurs d'école ont des soucis récurrents avec "leur" mairie. Voici ce qui est écrit dans l'enquête, et qui me réjouit en un sens puisqu'intervient pour la première fois dans le dossier le mot "statut":

C’est d’ailleurs également sur le plan des difficultés avec les mairies, autant que dans celles avec les parents que beaucoup de directeurs réclament, et c’est une forte revendication de leur part, un statut clair. Cela passe par des relations parfois explosives avec les personnels municipaux et l’on a vu dans l’enquête élèves comme dans l’enquête personnels que c’était un point difficile. Ainsi : « j'attends qu'il y ait plus de considération pour la directrice de la part de la mairie quand celle ci se fait insultée par une ATSEM et que le maire soutient cette personne en ne la remplaçant pas et que l'ensemble de l'école y compris les enfants en subissent les conséquences en voyant les conditions detravail dégradées ».

Ils estiment en effet – et probablement à juste titre – être dans une situation intenable. Ils sont vus à l’extérieur comme ayant un pouvoir qu’ils n’ont pas et se sentent pris entre plusieurs feux ». « Les parents sont ultra sensibles et il faut être très diplomate avec eux pour que cela se passe bien. Il ya soixante adultes à gérer dans l'école, presque trois cents enfants et autant de familles (nombreuses sont les familles monoparentales). Le RASED est insuffisant, il faudrait un CPE comme au collège, un secrétaire pour le directeur afin d'avoir un peu de temps pour travailler sur la pédagogie, discuter davantage avec les enseignants et les autres personnels. En tant que directrice, je passe la majorité de mon temps à gérer dans mon bureau les élèves renvoyés de classe par les maîtresses (et parfois par les animateurs) ».

Les directeurs se sentent pour beaucoup seuls et démunis, avec un statut et des fonctions peu claires. Aussi leur principale revendication porte soit sur un vrai statut de directeur – soit au moins sur une définition précise et une reconnaissance y compris salariale de leur métier – le terme métier est en effet employé par eux pour qualifier leur travail. Plusieurs injustices leur apparaissent criantes : le fait qu’à effectif parfois plus important ils n’ont pas ou peu d’aide de secrétariat comparés à leurs collègues de collège, que ces emplois sont précaires et donc souvent peu qualifiés. Il n’est donc pas étonnant que leur revendication n°1 porte sur un tel statut et de telles aides…. qu’ils sont presque les seuls à réclamer. Ainsi 30 % des directeurs avec décharge ou demie-décharge réclament un statut, contre 25% de ceux avec quart de décharge et 15% sans décharge, plus proches en cela des enseignants qui ne sont que 1,4% (et 1,2% en RASED) à évoquer le problème, plusieurs fois d‘ailleurs, en exprimant la peur de voir les directeurs se transformer à leur tour en « petits chefs ». Le fait que seuls ou presque les directeurs évoquent le problème du secrétariat ne signifie pas pour nous qu’ils se désintéressent de la pédagogie, mais témoigne de la bureaucratisation de la fonction, ce que beaucoup regrettent. Cela témoigne aussi d’une coupure avec leurs adjoints qui ne prennent pas en compte leurs difficultés. Cela pose bien sûr tout le problème de l’autonomie, de la répartition des pouvoirs dans les écoles, mais aussi de la nomination des directeurs.

Difficile d'être plus incisif et exhaustif dans une analyse de ce type! Tout y est clairement posé,  les revendications des directeurs d'école comme le fait que les adjoints s'en balancent royalement, seul comptant pour eux que surtout on leur fiche la paix. L'idée des "petits chefs" m'a toujours semblé venir des quelques glandeurs invétérés qu'on trouve encore dans ce métier et qui auraient tout à perdre à avoir leur supérieur hiérarchique quotidiennement dans les pattes. Passons.

Apparait alors la première conclusion qu'il soit possible de tirer des exposés précédents:

La différence entre les propositions des directeurs et celles des enseignants (ou des directeurs enseignants à temps plein) est considérable : les directeurs réclament un statut particulier, une définition de leurs fonctions. La délégation de ces tâches à un personnel qualifié de secrétariat leur paraît nécessaire pour revenir dans le jeu pédagogique et dans celui de l’animation des équipes. Une formation à la gestion des ressources humaines leur semble nécessaire pour y parvenir.

Un débat global sur la hiérarchie, sur la gestion des ressources humaines ou sur la manière de réformer l’éducation nationale est inévitable si l’on veut lever le scepticisme et apaiser bien des souffrances exprimées.

C'est exactement ça. Bravo Messieurs! Mais voici le feu d'artifice final:

Dans la même veine la réflexion doit être entamée avec les collectivités locales pour mettre à disposition des directeurs un véritable secrétariat. Le statut des directeurs et leurs responsabilités hiérarchiques vis-à-vis des personnels de tout type (fonction publique territoriale et collègues) doit faire l’objet d’un débat ouvert. Il est anormal qu’à effectif parfois égal les directeurs du premier degré ne bénéficient pas des aides dont bénéficient leurs collègues du second degré, chefs d’établissements. 

Tout est dit. Ite, missa est.

La sortie d'une telle enquête en pleine "concertation" est pour les directeurs d'école une chance à saisir. Nous avons là une nouvelle pierre pour construire notre édifice, celui d'un statut clair, respectueux, responsable, équitable, pour le direction d'école primaire. Nous ne pouvons nous permettre de laisser passer cette opportunité de franchir l'obstacle qui nous freine dans notre mission depuis des lustres. Espérons que notre ministre saura lui aussi le comprendre.

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