samedi 27 avril 2013

La troisième voie...


Être directeur d'école aujourd'hui, c'est jongler continuellement entre son travail de classe et sa mission de direction. Oui, je l'ai déjà expliqué, 96% des directeurs d'école ont charge de classe, si l'on fait abstraction des directeurs d'école parisiens qui sont dans une situation particulière puisque déchargés de leurs élèves par la Mairie de Paris. Pire, 38% des directeurs d'école ont leur classe... à temps plein! Le travail de direction pourrait ne se faire qu'après les six heures quotidiennes avec les élèves, mais c'est quand le directeur est présent que les adjoints, les familles, l'administration, la Mairie ou.... bref tout le monde... a besoin de lui. Le téléphone n'attend pas 17h pour sonner. Sans parler de l'énergie nécessaire pour ne pas laisser ses élèves en déshérence ni abandonner son école à vau-l'eau.

Autant dire qu'être directeur d'école en 2013 est une mission impossible. Croire le contraire, c'est au mieux s'illusionner, au pire se foutre du monde. Et ce n'est pas un débutant qui vous l'écrit ici, j'ai trente-cinq années de carrière dont treize de direction d'école.


Depuis des années j'entends et je lis dans les médias ou divers discours que l'école, qui est devenue un enjeu politique, ne remplit plus sa mission d'enseignement. On ne peut nier que de nombreux élèves français ont de grandes difficultés de lecture. Une des solutions proposées pour remédier à ce problème consisterait à rendre aux écoles leur autonomie -perdue depuis des décennies au profit des lubies ministérielles- afin qu'elles puissent adapter leur enseignement et leurs projets à leurs propres besoins, et elles-mêmes apporter aux enfants en difficulté scolaire l'aide qui leur serait nécessaire, tant il est évident que d'une commune et d'une école à l'autre les publics concernés n'ont pas les mêmes besoins. C'est là une réponse évidente. Mais cette réponse, dont personnellement je suis convaincu de l'efficacité, réclame une rénovation profonde de la "gouvernance" ou du "pilotage" des écoles. Il est nécessaire de reconnaître l'importance de la mission des directeurs d'école, et leur influence comme celle des enseignants sur les résultats scolaires des élèves. Cette influence est aujourd'hui admise par tous les chercheurs comme par tous les réels connaisseurs de l'enseignement. L'effet "maître" existe, l'effet "leader" existe, le nier serait une absurdité. Il est donc temps de donner aux directeurs d'école les moyens de leur travail, en temps, en autonomie, en reconnaissance juridique, administrative et sociale, en salaire.

Si la plupart des syndicats d'enseignants et de nombreux hommes politiques ou représentants de la Nation sont aujourd'hui conscients de ce problème, personne pour autant n'a l'air de se donner les moyens de le résoudre. Après moi le déluge? Le présent gouvernement a mis en place à la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire (DGESCO) un groupe de travail sur le sujet, groupe dont la discrétion n'a pas de mesure: personne ne sait ce qui s'y dit, ce qui s'y écrit, ce qui s'y pense, ce qui s'y trame. On peut néanmoins espérer en avoir bientôt quelques échos. Le plus tôt sera le mieux.

Il va aussi falloir convaincre de nombreux directeurs d'école qui, s'ils subissent avec difficulté la situation, appréhendent néanmoins beaucoup ce qui pourrait leur arriver: à quelle sauce serons-nous mangés? Trois voies sont possibles.

La première voie est celle du statu quo, qui est soutenue par les syndicats d'extrême-gauche. Ceux-ci par essence refusent toute évolution de la mission de direction d'école, n'y voyant que la très hypothétique installation de "petits chefs" (pourquoi petits?) et l'instauration d'un certain "caporalisme"... Il faudra leur expliquer que le temps de la Commune de Paris est bien passé, et qu'un groupe d'ouvriers sans contremaître n'arrivera jamais à grand-chose. Il s'agirait de n'offrir aux directeurs d'école qu'un peu plus de temps, un peu plus d'argent, pour ne surtout rien changer. Ce qui ne changerait rien non plus évidemment aux maux présents de l'école de la République. Mais se satisfaire de la médiocrité pourvu qu'elle soit égalitaire est dans les gênes de l'extrême-gauche.

La seconde voie serait celle d'une transformation des directeurs d'école en chefs d'établissement, avec la contrainte de la création d'un nouveau corps de fonctionnaires -comme s'il n'y en avait déjà pas assez- comme du regroupement forcené d'écoles car il serait impossible d'avoir dans chacune de nos petits écoles d'aujourd'hui autant de chefs d'établissements accompagnés d'un secrétariat, d'un intendant, etc. Cette voie est illusoire. Et elle n'est pas non plus souhaitable, car l'intégration dans ce nouveau corps ne pourrait se faire que par concours, concours qui serait forcément externe, ce qui amènerait rapidement à parsemer le territoire français de chefs d'établissements primaires sans connaissance du terrain, ou venant du secondaire ou d'autres ministères. La faillite d'une telle mesure par rapport aux objectifs que nous nous fixons d'améliorer le fonctionnement du primaire serait rapidement patent. C'est ce qui est en train de se passer dans les écoles du Canton de Genève, chez nos amis suisses, où les directeurs d'école perdent rapidement pied et font un peu n'importe quoi tant leur éloignement du terrain est aujourd'hui prononcé.

La troisième voie, celle que je préconise, est celle d'un statut original de directeur d'école, statut clair et précis, aux missions parfaitement définies et à l'autonomie affirmée, statut reconnu administrativement, socialement, juridiquement et pécuniairement. Ce statut devrait être accessible, comme pour les actuels directeurs d'école, par liste d'aptitude, et exigerait une forte implication et un fort investissement dans le fonctionnement quotidien de l'école. Quelles en seraient les définitions, les contraintes et obligations? C'est justement ce qui reste à définir, et ce qui peut être passionnant à discuter. Je ne crois pas qu'il faille prendre modèle sur la gouvernance des établissements français du secondaire, dont les principaux et proviseurs dénoncent eux-mêmes la déliquescence et les limites. Je ne suis pas persuadé non plus qu'il soit utile de regarder ce qui se fait dans les autres pays de l'OCDE, tant je crois opportun que nous avons la possibilité d'inventer une forme originale de pilotage de l'école primaire. Que diable! La France a suffisamment au cours des siècles montré ses capacités d'invention pour le bien de la Nation, pourquoi en serions-nous devenus incapables? Le GDiD a des idées, moi aussi, d'autres certainement aussi et encore. Profitons-en!

Il est donc temps d'explorer cette troisième voie. Les réticences seront nombreuses, certaines certainement exacerbées par des syndicats ou des hommes politiques hostiles à tout changement. Mais pouvons-nous faire abstraction du problème des directeurs d'école, de celui du pilotage de l'école primaire, des faillites du système actuel? Pouvons-nous ignorer les nombreux enfants qui sortent de notre école sans bagage dans un société hostile et qui n'épargne pas les faibles? Non, bien entendu, faire l'impasse sur toutes ces questions serait aujourd'hui criminel.

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