samedi 13 avril 2013

Le laminoir...


Texte invité

Mon grand-père, ingénieur aux Tréfileries du Havre à une époque où ce genre de diplôme passé en autodidacte représentait une somme démentielle de sacrifices, connaissait bien les laminoirs. Outils de base de ceux qui travaillent industriellement le métal, les laminoirs furent pour ce grand-père qui hélas disparut alors que j'étais en bas-âge le décor quotidien de ses longues années de travail.

Il eut certainement été charmé d'apprendre qu'un de ses petits enfants perpétuait la tradition familiale, avec une légère nuance toutefois, celle qui veut qu'au lieu d'en faire usage à des fins industrielles je n'en suis qu'un produit, écrasé quotidiennement par un passage régulier entre les cylindres puissants que sont mes deux métiers que je pratique simultanément.

Ne l'ai-je point déjà exprimé? Directeur d'une petite école maternelle, je suis partagé entre ma fonction d'enseignant, six heures par jour avec trente élèves de quatre et cinq ans, et ma mission de direction, qu'il me faut tout aussi quotidiennement assumer face aux familles, à ma municipalité, et à mon administration. Ce sont bien deux métiers différents, francs et pleins.

A l'époque de mon grand-père, qui nous a quittés il y maintenant plus de cinquante ans, être directeur d'école était une mission valorisée, valorisante, importante et considérée. Il eut été fier de son petit-fils, aurait certainement pensé que "l'ascenseur social" avait pleinement fonctionné. Mais aujourd'hui je ne suis rien. Si l'estime que me portent familles et élus dans ma commune d'exercice ne fait aucun doute, je ne suis pour ma propre administration qu'un minable petit fonctionnaire corvéable à merci, très mal payé, dont on ne connait rien ni des peines, ni des doutes, ni des succès ou des échecs, ni surtout des difficultés croissantes à coiffer une insupportable double casquette.

Je suis en vacances depuis hier soir. Je suis brisé, épuisé, j'ai une tête à faire peur. Bien que m'étant endormi difficilement et tard, à ressasser des problèmes d'école qu'il me faudra bien résoudre à la rentrée, je me suis réveillé à cinq heures ce matin à la suite d'un "cauchemar scolaire" relatif à une difficulté qui s'annonce et qu'il faudra surmonter sans aide ni soutien. Je me dois d'essayer de l'oublier, au moins partiellement, pendant quelques jours, si je veux récupérer un peu avant les neuf dernières longues semaines d'école qui boucleront cette année difficile.

Qui rendra aux directeurs d'école la considération qui leur est due? Certainement pas une opinion publique qui ne voit dans l'école qu'un ramassis de fainéants incompétents et profiteurs. Certainement pas des médias qui ne voient dans l'école qu'une éventuelle usine à "scoops", quitte à profiter honteusement de la disparition tragique d'une collègue, ou à répandre les pires bêtises quant à nos méthodes de travail, notre investissement, la réalité de notre métier. Certainement pas un gouvernement dans lequel nous mettions beaucoup d'espoir, mais qui depuis un an ne sait qu'accumuler bourdes et parti-pris. Un ministre peut-être?

Hélas, la lecture de la circulaire de rentrée parue au Bulletin Officiel du 11 avril dernier ne sait qu'accentuer mon malaise. On parle de nous "mobiliser" -une fois de plus, une mission supplémentaire, nous n'en avions certainement pas assez- pour "accompagner" les futurs professeurs... et c'est tout. Rien sur notre mission, rien sur notre engagement professionnel, rien sur notre avenir, rien pour nous rassurer ou simplement nous remercier de la façon remarquable dont vaille que vaille nous continuons à tenir la barre d'une école qui part à vau-l'eau. La direction d'école n'existe pas. Sinon pour persister à nous exploiter. Je parlais récemment d'esclavage. Nous n'en sommes pas si loin. Une vieille blague racontait la différence entre le capitalisme et le communisme, expliquant que l'un était l'exploitation de l'homme par l'homme, et le second l'inverse... Sans autonomie, sans statut, sans considération, sans salaire digne, vaillants petits ouvriers de l'école primaire de la République, exploités certes nous le sommes, sans vergogne ni état d'âme.

Il y a du soleil aujourd'hui. Mais j'en ai peu dans le cœur.

Pascal Oudot

1 commentaire:

  1. Votre billet me touche, je trouve terribles vos phrases "je ne suis rien" "j'en ai peu (du soleil) dans le coeur", terribles de tristesse et de lassitude. Je comprends votre sentiment, prof jusqu'en 2011 date de mon abandon, je n'ai pas fait la rentrée. Plus de souffle. Plus d'envie. Je n'ai pas eu le courage de faire une rentrée de plus. Je vous admire de continuer à vous battre, moi je n'y croyais plus.
    Je vous envoie des pensées "gentilles" et j'espere que vous allez mieux

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