mercredi 17 avril 2013

Le mille-feuilles...


La "gauche", ou qui se prétend telle, est une adepte forcenée du mille-feuilles. J'entends par là qu'incapable d'envisager de retrancher quoi que ce soit, elle n'envisage une quelconque politique qu'en terme d'accumulation. Surtout je n'enlève rien, mais j'y ajoute une couche supplémentaire.

Cette réflexion générale sur les divers gouvernements de gauche qui depuis trente ans ont pu gouverner ce pays, comme sur notre gouvernement actuel, se vérifie dans tous les domaines de la gestion publique. L'exemple le plus frappant est bien entendu celui de nos impôts, dont l'empilement des diverses couches a pris une telle hauteur que la pile est clairement en train de s'effondrer. Je ne citerai que pour mémoire également la création ultime en ce domaine, celle par Michel Rocard en 1990 de la CSG, extraordinaire impôt sur l'impôt dont l'idée ne pouvait germer que dans l'esprit brillantissime d'un adepte forcené du mille-feuilles évoqué plus haut.

Mais se contenter d'appliquer ce principe aux obsessions de Bercy serait faire un peu court. Quel que soit le domaine politique ou administratif auquel vous pourrez penser, qu'il s'agisse des portefeuilles ministériels ou des pyramides de fonctionnaires, vous constaterez que les strates s'accumulent au point systématiquement de menacer l'équilibre déjà précaire de l'ensemble. Bien sûr l'efficacité d'un tel édifice est inversement proportionnel à sa hauteur, et je reste quotidiennement stupéfait de la façon dont nos gouvernants savent se voiler les yeux pour mieux ignorer l'effondrement de notre système étatique.

Quelle est la cause d'un tel aveuglement? Adeptes de la politique des Bisounours, la "gauche" est intimement persuadée que le Bien ne peut venir que de l’État, le Mal de l'initiative individuelle. En ce sens, nous autres français vivons avec allégresse dans une république communiste qui s'en cache bien. Mais son origine ne vient pas tant d'une idéologie pernicieuse que de l'incapacité globale des gens de gauche d'envisager seulement une seconde le retrait d'une Loi idiote ou inapplicable, d'une mesure inique, d'une norme ridicule, et pire que tout d'un fonctionnaire inutile... La "gauche" crée des postes de fonctionnaires au nom du Tout-État, mais n'en supprimera surtout aucun.

Et les strates s'accumulent.

J'ai déjà plusieurs fois et longuement évoqué un des effets pervers de ce système, celui qui veut qu'un fonctionnaire inutile ou incompétent ne saura que pondre avec abondance de nouveaux textes, de nouvelles normes, de nouvelles injonctions, afin de simplement justifier son existence et son mirobolant salaire de haut fonctionnaire, quitte à bloquer un peu plus une machine administrative déjà fortement grippée.

Ceci n'empêchera nullement la "gauche" qui nous gouverne de ne pas supprimer cette verrue disgracieuse et qui démange. La "gauche" ne veut faire de mal à personne, elle ne veut que notre bien, elle nous fait des câlins et des bisous, elle ne PEUT PAS se résoudre à trancher dans le vif, alors même que la lèpre nous gangrène. Elle nous laissera crever plutôt que de seulement envisager un simple coup de bistouri.

Et voilà pourquoi vous avez du mal à payer vos factures.

Évidemment, l’Éducation nationale, monstrueux animal à la tête disproportionnée, n'échappe pas à la règle commune. Je relisais le verbatim d'un débat de juillet 2011 entre Bruno Julliard, alors préposé à l'éducation au PS, Daniel Laurent de l'Institut Montaigne et Jacques Grosperrin de l'UMP (vous le trouverez sur l'excellent site des Directeurs en Lutte). Il s'agissait bien entendu d'évoquer le problème récurrent des directeurs d'école, l'Institut Montaigne militant à cette époque pour -je cite- "un directeur d’école qui ait une certaine autonomie à la fois vis-à-vis de l’administration et vis-à-vis de ses collègues."

Les propos de M. Julliard lors de ce débat ne doivent pas être oubliés. Ils sont à peu près passés inaperçus à l'époque, la France étant obnubilée par la nécessité, que personnellement je ne nierai pas non plus, de se débarrasser du forcené qui présidait alors notre Nation. Voici ce que disait M. Julliard:

"... Je ne crois pas que la question du pouvoir ou de l’augmentation du pouvoir des directeurs d’école, encore moins la création d’un établissement public d’enseignement autonome soient une priorité. D’abord parce que c’est coûteux, ensuite parce qu’on a probablement d’autres chantiers prioritaires qui vont mobiliser et de l’engagement politique et de l’engagement économique. En revanche, il y a 3 sujets qui doivent être traités dans la gouvernance:
- Accorder plus de pouvoir d’agir aux équipes éducatives, aux enseignants dans les écoles primaires, quand on met en place la politique des cycles ; ça veut dire qu’il faut qu’on ait des enseignants qui soient en capacité d’avoir cette autonomie pédagogique.
- Ensuite, il faut améliorer l’accompagnement des projets éducatifs dans les écoles et ça demande une réforme importante de l’administration et notamment des inspections d’académie. Ça passe par une réorientation du travail des inspecteurs pas en nombre suffisant et aujourd’hui pas formés pour ça.
- Et puis le dernier élément, je partage ce que vous avez dit, c’est accroître les liens entre l’école primaire et le collège."

Que ces propos soient parfaitement illogiques n'échappera à personne. Sur deux points: d'abord l'idée de donner du "pouvoir d'agir" et de l'autonomie aux "équipes éducatives", parfaitement antinomique avec celle d'augmenter les pouvoirs des Inspections Académiques; ensuite d'imaginer pouvoir accorder plus d'autonomie aux écoles sans que celle-ci passe par la direction d'école. Voilà l'illustration pleine et entière d'une profonde méconnaissance des fonctionnements de l'école primaire publique.

Rendre une école autonome, c'est la libérer des carcans administratifs, des injonctions et vouloirs généralement absurdes et hors de propos d'une pyramide de pouvoirs qui s'échelonnent sans fin du Ministre aux IEN. Ce n'est certainement pas la conforter dans des chaînes qui entravent ses possibilités d'action au service des élèves et de leur réussite scolaire.

Quant à rendre l'école dépendante du collège, ce serait bien entendu, j'en ai déjà beaucoup parlé, coucher le dernier à peu près bien-portant du système dans le lit d'un cholérique. Ce qu'assume d'ailleurs pleinement aussi M. Grosperrin lors du débat sus-mentionné, qui affirme avec fatuité et sans aucun état d'âme: "Je pense qu’il est plus intéressant de mettre en place un établissement scolaire comme un collège et de relier les écoles primaires qui sont avoisinantes à ce collège pour faire en sorte qu’il y ait une véritable synergie qui se mette en place. Si on met en place un véritable directeur d’école dans chaque école, on va arriver à l’échec de ces écoles du socle commun. Il serait plus fondamental qu’il y ait un seul chef d’établissement et que ces écoles soient pilotées par un IEN pour faire en sorte que la liaison entre la 6ème et le CM2 soit plus efficace." Ben voyons. On prend les aveugles et on les met en tête de convoi.


Et ce sont ces gens-là qui veulent, qui doivent réformer l'école? Quelles oeillères! Quelle bêtise! Stupidité d'ailleurs parfaitement idéologique, sans aucune réflexion antérieure autre que celle des coûts supposés d'une mesure qui consisterait à donner aux directeurs des écoles publiques françaises un statut clair et différencié. Pour M. Grosperrin "c’est une difficulté financière", pour M. Julliard "ça aura un coût fabuleux"... Voilà bien pour ces messieurs où le bât blesse.

Ce coût, je ne le nie, pas, j'ai d'ailleurs dans un précédent billet esquissé les prémices de son calcul. Mais il relève d'une méthode de pensée particulière, qui veut encore une fois qu'il ne faille surtout rien retrancher. Il n'est pas une seconde envisagé de récupérer cet argent ailleurs dans le fabuleux budget du ministère de l’Éducation nationale. Ce qui ne surprend aucunement venant de M. Julliard, mais est plus étonnant de la part de M. Grosperrin, sauf si l'on considère qu'avant des élections présidentielles -le débat je le rappelle date de juillet 2011- il n'est pas envisageable d'évoquer des suppressions de postes de fonctionnaires, pratique pourtant largement utilisée jusque là. Sauf également à penser que la "droite" en général préfère enchaîner des fonctionnaires de terrain pour lesquels elle a une haine profonde bien qu'irraisonnée, et les laisser en pâture à de hauts fonctionnaires à la botte, même s'ils ne comprennent rien au fonctionnement de l'école.

Il faut donc couper dans le lard. Oui, c'est un leitmotiv chez moi: ceux qui comptent dans l’Éducation nationale sont ceux qui agissent sur le terrain, ceux qui se préoccupent quotidiennement du bien-être et de la réussite de leurs élèves, enseignants et directeurs d'école. Ceux qui ne comptent pas, ce sont les fonctionnaires administratifs, qui sont pléthore et enrayent constamment la machine. Si on supprime tous les étages inutiles de cette administration, si on donne aux écoles leur autonomie pleine et entière comme le font déjà les Nations dont les systèmes scolaires sont efficaces, si on accorde à la direction d'école la maîtrise raisonnée et encadrée de ses moyens d'action, alors l'école primaire publique française redeviendra ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, soit une école attentive aux besoins éducatifs de ses élèves.

Il ne serait même pas utile de supprimer les équipes d'IEN et de conseillers pédagogiques, même s'il serait certainement opportun d'en limiter le nombre. Mais celles-ci pourraient alors pleinement jouer leur rôle de conseillers, de formateurs, de transmetteurs, de passeurs d'innovation. Je suis sûr qu'elles seraient parfaitement aise de se voir libérées de tâches absurdes qui n'ont fait que s’empiler depuis trente ans, comme la direction d'école a vu en parallèle enfler grotesquement les siennes.

Donner aux directeurs d'école un statut et ce qui l'accompagne en termes d'existence juridique, de temps, de reconnaissance et de salaire, cela participera totalement d'une autonomie des écoles primaires qui ne peut être que bénéfique aux enfants de France. Oui, cela aura un coût, mais celui-ci pourra sans difficulté être couvert par le budget de l’Éducation nationale, à condition que celle-ci s'en donne les moyens en recherchant dans ses propres arcanes ce qui peut en être retranché, et vous pouvez me croire quand je vous dis qu'il y aura largement de quoi faire. Mais je suis dubitatif, tant il n'est pas dans les habitudes de la "gauche" d'alléger la charge de la bête. On peut toujours espérer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire