samedi 11 mai 2013

Frustration...


Le constat est général dans notre pays: l'école va mal. C'est du moins ce qui semble être le sentiment de la population, peut-être en partie créé par des médias en mal d'information juteuse et immédiate. Car ce constat est très relatif, puisque le niveau de qualification des français reste élevé. Leur niveau de compétence aussi: le français s'exporte bien, tant sa capacité de travail et surtout son efficacité sont importantes et reconnues dans les pays étrangers.

Alors pourquoi ce sentiment? Déjà en raison d'un auto-dénigrement systématique, mal national qui gangrène la Nation depuis très longtemps, mais qui nous a parfois permis également d'avancer. L'idée qu'une de nos institutions puisse fonctionner correctement nous est insupportable, nous sommes intimement persuadés que cela doit "cacher quelque chose". Surtout qu'il s'agit d'argent public, donc de nos impôts. Nous autres français estimons qu'en quelque sorte un service public nous appartient non pas collectivement, mais individuellement à chacun en partie. Ce qui nous autoriserait à le dénigrer systématiquement, ou du moins à attentivement en surveiller le fonctionnement, et à le critiquer si personnellement il ne nous convient pas, quand bien même il conviendrait parfaitement aux 99% du reste de la population. Disons-le: le français râle contre ses institutions, mais ne les braderait pas pour un empire. C'est notre faiblesse, c'est aussi notre richesse. Notre capacité d'invention est énorme, notre capacité de résilience aussi.

En revanche, nos capacités d'évolution sont sérieusement grippées. Nous pensons souvent -je parle bien de conscience collective- que mieux vaut un "machin" qui va brinquebalant que le changer ou le modifier d'une façon que nous percevons mal, ou qui nous inquiète. Le cri collectif "ça ne va pas!" sera vite remplacé par un hurlement unanime "on ne touche à rien!" si un politique quelconque s'avise de vouloir légèrement bousculer la bête. Nous sommes des dinosaures, fiers de nos institutions sclérosées. Personne d'autre que nous n'a le droit de les déprécier. Quitte à nous enliser dans des bitumes nauséabonds, ce que nous ferons avec fatalisme... et optimisme! Car notre croyance en notre génie national est immense.

C'est évidemment flagrant avec l'école. Nous avons tous en tête une classe de têtes blondes et de nattes, de jupes et de shorts, avec sur son estrade un instituteur en blouse grise, la craie à la main. C'est Pagnol qui imprègne notre mémoire collective, les cartes Vidal-Lablache, les marronniers dans la cour, les coups de règle sur les doigts et les leçons récitées à la mère... Il ne faut pas mésestimer la force de cette image, elle est fondatrice de notre volonté de faire perdurer l'école de la République, tout en étant un frein majeur à l'évolution de notre institution scolaire. Le "c'était mieux avant" ne permet pas d'avancer.

C'est très frustrant.

Aujourd'hui la plupart des personnes que je rencontre et qui connaissent un tant soit peu l'école sont d'accord pour dire qu'elle a un énorme problème de gouvernance. Ou de pilotage, si vous préférez ce terme. Bref, de direction. Les familles se plaignent de ne pas avoir en face d'elles un directeur d'école responsable et autonome dans ses projets, et sont surprises lorsqu'elles apprennent que les directeurs d'école ne sont pas les supérieurs hiérarchiques des enseignants. Les associations de parents d'élèves font le même constat et s'en plaignent aussi, qui réclament une direction d'école autonome et responsabilisée -ce que vient de réaffirmer d'ailleurs la PEEP lors de son dernier congrès, réclamant un statut pour les directeurs d'école (la FCPE, fortement politisée et proche des syndicats gauchistes, s'en fout totalement)-. La pyramide de l’Éducation nationale se plaint que ses directives soient au mieux mal appliquées, au pire ignorées, parce que les directeurs d'école n'ont aucun pouvoir et les IEN une audience nulle. Notons d'ailleurs que cette pyramide ignore en partie ou totalement le fonctionnement de l'école primaire, les hauts fonctionnaires parisiens du ministère croyant que toutes les écoles françaises fonctionnent sur le modèle parisien, qu'ils ne côtoient d'ailleurs que très peu car ils préfèrent mettre leurs propres enfants "à l'abri" dans des écoles privées mieux fréquentées et fréquentables, ne retrouvant l'école publique que pour envoyer leurs adolescents dans les meilleurs lycées. Ces hauts fonctionnaires ignorants sont très étonnés quand on leur apprend que les directeurs d'école de province ont charge de classe et n'ont pas de secrétariat. Pas la peine d'ailleurs d'aller si loin, la plupart des DASEN et des Recteurs l'ignorent tout autant.

Même nos députés trouvent la situation anormale. Il ne passe pas une semaine sans qu'un de ceux-ci interpelle notre actuel ministre au sujet des directeurs d'école, demandant ce statut clair et différencié que j'appelle tant de mes vœux. Évoquerai-je les élus locaux? Les Maires des communes françaises comme leurs secrétaires généraux, dont beaucoup sont regroupés au sein de l'ANDEV, réclament également à cor et à cri que les directeurs d'école qui leur sont familiers, et avec lesquels ils travaillent souvent en étroite collaboration, deviennent enfin des interlocuteurs responsables, formés, autonomes.

Bref, tout le monde est d'accord: il faut pour les directeurs d'école un statut clair et différencié, de l'autonomie, un salaire digne, des responsabilités affirmées, une reconnaissance administrative et juridique. Ce qu'ils n'ont aucunement aujourd'hui.

Alors mon prince, c'est où-t-y qu'ça coince?

On m'avance souvent un argument budgétaire: l’État n'aurait plus de sous. Je vais me répéter, mais c'est là un argument fallacieux. L'éducation est un investissement, non une dépense. Toutes les nations le savent, et vouloir faire croire le contraire comme le faisait notre précédent gouvernement est un mensonge grave, de ceux qui précipitent un pays dans la misère ou la sujétion. De plus, parmi les mesures représentatives d'un statut pour les directeurs d'école, la plupart ne coûtent rien, sinon de la volonté politique, et le courage d'affronter les syndicats d'extrême-gauche français qui à défaut de représentativité et d'intelligence ont conservé une certaine capacité de nuisance, et celle particulièrement de foutre la trouille à nos politiques qui font pipi dans leur culotte dès que quelqu'un lève un doigt ou exhale une flatulence. Pour le reste des sous nécessaires, il serait facile d'en récupérer une certaine quantité en virant de nombreux hauts fonctionnaires à l'inutilité notoire, et en supprimant comme je l'ai déjà dit les deux étages superfétatoires de la pyramide ministérielle que sont les DASEN qui ne servent à rien, et les IEN qui ne servent pas à grand chose et n'auraient plus aucune utilité avec des directeurs d'école statutaires et autonomes. Les conseillers pédagogiques de ces mêmes IEN pourraient avec profit pour eux comme pour nous être reconvertis dans la formation professionnelle et continue, et dans la diffusion des pratiques efficaces et innovantes.

D'où ma frustration. Tout le monde est d'accord, mais rien ne bouge. Si la frustration est un puissant moteur d'évolution de l'individu, et même un des principaux en ce qui concerne celui de la conscience sociétale -vous pouvez en croire l'enseignant de maternelle que je suis-, elle n'est pas moins fort désagréable à vivre quand vous savez si simple la résolution du problème qui vous turlupine. Certes, je suis intimement convaincu que nous sommes très proches de la délivrance d'un statut pour la direction d'école primaire publique en France, certes je suis persuadé que jamais depuis quinze ans nous n'avons été si près de l'obtenir. Mais il me reste néanmoins un sentiment diffus d'inachevé quand quotidiennement je suis confronté aux difficultés et aux limites actuelles de ma mission de directeur. Je ne peux guère voir dans les freins encore en place que l'absence de volonté politique, ou de courage politique ce qui revient au même. En résumé, la trouille. Ce qui est un comble quand pour être élu un politique raconte partout qu'il veut "changer la société" ou "refonder l'école"... C'est bien la chocotte qu'avait le précédent ministre qui l'a empêché de nous donner ce satané statut, alors qu'il avait pourtant bien en main toutes les données du problème.

Bon, alors, ces "discussions imminentes" avec le ministère et la DGESCO, c'est pour quand?

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