mercredi 25 septembre 2013

L'affaire Risso...


Si je fais dans le titre de ce billet une allusion claire à "l'affaire Dreyfus", ce n'est pas par hasard. Certes il faut toute proportion garder, et la gravité des évènements actuels n'a évidemment pas de mesure avec le drame national que fut à la charnière du XXème siècle le déballage hystérique et antisémite qui divisa la France.

Je vois néanmoins avec le procès en sorcellerie qui est fait à notre collègue Jacques Risso de nombreux similarités. A commencer par un dossier à charge totalement ahurissant, mêlant courriels personnels, dessins de presse, rumeurs et dénonciations. De quoi aussi largement diviser, et semer la panique dans un village qui pour beaucoup d'entre nous prend soudain une place particulière sur la carte de France. Je ne savais pas où était Rustrel, je n'en connaissais pas l'existence, et j'aurais préféré en percevoir la beauté par d'autres biais qu'une affaire aussi lamentable.

Le fond de l'affaire est clair: des familles ont contacté la cellule "Stop Harcèlement" du rectorat d'Aix-Marseille pour "dénoncer" une prétendue mauvaise gestion par Jacques Risso d'une histoire de harcèlement entre élèves. Ne nous leurrons pas, cela peut arriver, les cas de harcèlement réels sont graves. Et il est parfaitement plausible qu'un directeur d'école ne sache pas en gérer un, ou préfère ne pas le voir. Ce n'est pas là-dessus que je veux mettre un doigt accusateur.

Que se passe-t-il concrètement dans ce genre de cas? Le rectorat, qui représente directement le ministère de l’Éducation nationale, renvoie l'affaire vers le Directeur Académique (DASEN), qui se renseigne auprès de l'IEN concerné, et prend alors les premières mesures qui s'imposent. C'est là que le bât blesse: si l'IEN a de larges épaules et fait confiance à son directeur d'école, il le contactera, essayera d'en savoir plus, afin de vérifier ce qu'il en est et connaître son point de vue; puis il montera son dossier et le remettra au DASEN qui prendra alors ses responsabilités. J'ai personnellement connu une affaire similaire -toutes proportions gardées- à mes débuts en direction d'école il y a une quinzaine d'années, affaire qui s'est réglée rapidement sans conflit à la satisfaction de tous. Mais mon IEN m'avait contacté et me faisait confiance. Et il n'existait pas une plate-forme internet de dénonciation comme celle dont nous constatons aujourd'hui la perversité.

C'est manifestement ce qui a fait la différence dans le drame personnel que vit actuellement notre collègue. Son IEN a monté un énorme dossier de deux cent pages en y mêlant tout ce qui devait l'irriter depuis des années: petits dessins dénonciateurs de JAC, histoires et rumeurs diverses, etc. J'ai déjà expliqué dans un précédent billet que les caricatures de presse de JAC relevaient de la liberté d'expression, et qu'en aucun cas ils ne devraient se trouver dans un dossier de cette nature, d'abord parce que "la liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires" selon l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Ensuite parce qu'ils n'ont rien à voir avec un harcèlement entre élèves qui aurait éventuellement pu avoir lieu.

Un deuxième détail fort gênant, extrêmement grave également, est la présence dans ce fameux dossier de courriels "échangés de la boîte mail personnelle de Monsieur Risso vers une boîte mail hors la messagerie académique en ac-aix-marseille.fr et totalement hors temps de service" (je cite Chantal Fassié, qui défend Jacques Risso pour Force Ouvrière). Je rappelle que la Loi est extrêmement claire en ce qui concerne le courrier personnel, et qu'il est hors de question qu'un employeur quelconque, fonction publique ou entreprise, intercepte le courrier personnel d'un de ses employés sans qu'il le sache. C'est la Cour de cassation qui nous le dit en 2009:

"...l’employeur ne peut ouvrir les messages identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé..."

Je suis effaré que pour constituer un dossier à charge son IEN se permette donc d'y inclure des pièces dont la loi interdit l'usage et qui de plus n'ont rien à voir avec les faits reprochés à Jacques Risso! N'importe qui saura apprécier le procédé, pas la peine d'être avocat pour avoir des haut-le-cœur devant de tels agissements. Que cette IEN se soit également permis de présenter en public la mise à l'écart de Jacques comme une "mesure disciplinaire" est extrêmement grave, mettant à mal la présomption d'innocence accordée à tout citoyen, fonctionnaire ou non, et de plus un absolu mensonge indigne d'un fonctionnaire d'autorité.

Le DASEN du Vaucluse, qui je le rappelle arrivait tout juste d'un autre département, a fort logiquement au vu du dossier pris en urgence les "mesures conservatoires" qui s'imposaient et qui sont de mise lorsque l'intégrité professionnelle d'un personnel de l’Éducation nationale est mise en cause. Soit une mise à pied immédiate, et sans en donner aucunement la raison au principal intéressé. Si le procédé est cavalier, il n'est hélas pas rare dans l’Éducation nationale. Ce qui ne signifie pas qu'ils soit justifié. Et ce que ne savait pas le Directeur Académique à cet instant, c'est qu'il allait se retrouver avec dans les mains une patate chaude particulièrement difforme...

J'évoquais plus haut la perversité de la plate-forme "Stop harcèlement" mise en place par le ministère. Elle montre ici largement ses limites. Elle n'est qu'une porte ouverte aux rumeurs et aux malfaisances. Ce système, comme la fameuse "veille internet" du ministère, s'il a des oreilles n'a pas de cœur! N'importe quel fait imaginaire peut par ce biais froidement redescendre tel un couperet vengeur sur un enseignant ou un directeur d'école. Que dis-je! Qu'il soit ou non l'origine des faits ou l'objet des rumeurs, le directeur d'école prendra nécessairement tout dans les dents, car sans statut, sans existence juridique, sans reconnaissance administrative, sans mission et responsabilités clairement définis, il sera toujours tenu pour responsable, même en dépit de toute logique. Ce genre de "plate-forme" n'est que l'équivalent contemporain des lettres de dénonciation que notre pays a connues en d'autres temps. C'est moderne, c'est facile, et ça a le même goût. Car le principe court-circuite sans état d'âme toute la logique humaine qui consiste à s'adresser d'abord au directeur de l'école pour se plaindre, puis à l'IEN en cas de désaccord, et enfin au DASEN si le parent concerné s'estime incompris ou lésé. A chaque étape la procédure peut s'arrêter, des mesures peuvent être prises, des interventions adaptées décidées. Avec les "plate-formes" qui se multiplient, rien de tel, l'humain est nié au profit de l'administratif centralisateur et borné, le tout au nom de la justice -mon Dieu!- et de l'efficacité. Nous en crèverons tous.

Je ne peux que maintenir mon complet soutien envers Jacques Risso, cette histoire est trop ahurissante pour que je laisse tomber un collègue qui du jour au lendemain voit son intégrité professionnelle et ses compétences remises en cause, qui se retrouve écarté de son école, de sa classe, de ses élèves... De quoi être encore un peu plus dégoûté d'un système inhumain, paternaliste et castrateur. J'espère qu'il s'en sortira, non seulement la tête haute, mais aussi sans haine ni découragement. Car au-delà du drame professionnel que peut représenter pour un enseignant confirmé une mise à l'écart aussi brutale, c'est aussi et surtout un drame personnel que vit Jacques actuellement. Tiens le coup, mon vieux, nous sommes là!

Je pense aussi et j'apporte mon soutien au village de Rustrel, en lui souhaitant de retrouver rapidement une sérénité mise à mal par certain désir vengeur de mettre au pas le directeur de son école.

Mais pensez-y bien, chers collègues directeurs d'école: aucun d'entre nous ne sera à l'abri d'une histoire de ce genre tant que nous n'aurons pas de statut clair et définitif. L'épée de Damoclès est au-dessus de nos têtes.

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