dimanche 1 septembre 2013

Rouages...


On y est, la machine s'est mise en route. L'énorme mécanisme de l’Éducation nationale a commencé à tourner. Ça grince, ça couine de partout, ça manque cruellement de lubrifiant, mais comme chaque année à la même époque les rouages du système s'ébrouent puis s'ébranlent. Il manque des dents à certaines roues, d'autres sont franchement rouillées, quelques-unes, grippées, bougent avec peine mais tentent courageusement de faire ce pour quoi elles ont été construites.

Comme d'habitude, ce sont les plus petits rouages qui se sont mis à tourner les premiers. Les minuscules roues cuivrées se sont élancées avec vigueur et énergie, quelques-unes même tournent à plein régime et depuis pas mal de jour: celles-ci sont appelées les "directrices d'école" et les "directeurs d'école". A leur suite elles ont commencé à entraîner les petits rouages enseignants qui leur sont parallèles.

Tels des mécanismes à tourbillon, les rouages de base sont pour l'instant affranchis de la gravité du système. Ils tournent seuls, sans aide mais sans opposition, rien ne contrarie leur course effrénée pour préparer la rentrée de mardi matin. Si certaines roues plus larges se sont également mises en route, beaucoup d'entre elles effectivement restent pour l'instant sans effet sur la mécanique de base. Elles sont il est vrai trop dépendantes de certains gros rouages qui tournent trop lentement pour avoir une quelconque influence sur le fonctionnement de la machine. Elles n'en sont pas conscientes...

J'ai lu et relu -de nombreuses fois- la merveilleuse nouvelle de Kipling intitulée "Le navire qui s'y retrouve". Chaque élément du bâtiment est convaincu de sa propre importance, mais ce sont les rivets qui tiennent la machine. L’éducation nationale est fort semblable, à la différence que chez Kipling les voix individuelles finissent par se taire pour n'en former plus qu'une, celle du navire entier. On en est loin dans ce ministère.

Concrètement, la plupart des directeurs d'école de France seront lundi en réunion avec leur IEN, afin que la "bonne parole" de la DGESCO et du rectorat descende sur eux telle l'esprit saint lors d'un concile. Je n'utilise pas ces termes par hasard, le fonctionnement de l’Éducation nationale -comme le pointait déjà Pagnol dans "La gloire de mon père"- est étonnamment proche du religieux. Chaque année donc le cérémonial est le même, qui permet aux inspecteurs de parader et de mettre en avant leur obsessions personnelles. Rappelons que de ce point de vue les années Sarkozy furent une splendeur d'injonctions absurdes, de tâches inutiles, de menaces peu voilées. De là à parler de "rentrée apaisée", comme le martèle à l'envi notre ministre adepte de la méthode Coué, il y a néanmoins un fossé. Disons que nous n'avons plus au-dessus de notre tête cette épée de Damoclès qui à chaque rentrée nous faisait nous demander quelle imbécillité avait bien pu être inventée pendant les vacances. C'est certes déjà bien, mais certainement pas suffisant pour nous faire jubiler ou danser la rumba.

Car en ce qui concerne la direction d'école, le bilan de ce qui nous attend, s'il n'est pas proche de zéro, n'en est pour autant que peu éloigné. Un certain nombre d'entre nous bénéficieront d'un EVS, emploi précaire mal rémunéré dont la compétence est loin d'être assurée. Et? C'est tout. C'est peu. C'est même que dalle pour moi, qui dans ma petite école, sans décharge, moins payé que mes collègues avec plus de classes, me taperai toute la journée mes trente mômes de quatre et cinq ans et devrai tenter de remplir vaille que vaille simultanément ma mission de direction. Sans un fifrelin de plus qu'avant, ni plus de temps. Ah! Si, j'oubliais! Le ministère m'octroie généreusement quelques heures à prendre sur les nouvelles Activités Pédagogiques Complémentaires. J'en suis ravi, il y aura six heures pendant lesquelles je ne devrai pas gérer et encadrer en même temps. Que du bonheur! C'est surtout n'importe quoi, moins on a de temps pour faire ce métier de directeur d'école, moins on vous en accorde. Le comble de l'absurdité, mais typique du fonctionnement centralisé et jacobin de ce ministère complètement éloigné des réalités.

D'après M. Peillon, je devrais être au comble du bonheur. Je pense à mes collègues directeurs déchargés qui vont devoir cette année se payer le luxe de former les débutants qui seront sensés les remplacer. Et savent dès maintenant qu'ils ne seront pas déchargés hebdomadairement comme ils en avaient l'habitude... et le besoin! Eux aussi doivent chanter la cucaracha tant ils sont heureux.

Il parait que des discussions vont se tenir prochainement quant à notre mission. Le GDiD y sera présent, même s'il ne pourra légalement négocier. Ce qui laisse un doute quant à ce qui va en sortir. En fait, c'est d'un débat sur le statut général des enseignants dont il est question, celui des directeurs d'école n'en sera qu'annexe. Nous aurons certainement droit à un -terme à la mode déjà dénoncé sur ce blog- "référentiel" de compétences de la direction d'école. Mais sera-t-il vraiment question de nos conditions de travail? Vue la façon dont se réjouissent déjà certains syndicats de mesurettes ridicules prises ponctuellement dans certains départements, je doute que ces discussions aillent bien loin pour reconnaître que la direction d'école est aujourd'hui un véritable métier, qui mérite un statut autrement plus clair, autonome et rémunérateur, que le vague état dans lequel nous stagnons aujourd'hui.

Bref, je suis dubitatif. Je ne suis pas sûr que les différents interlocuteurs des négociations aient vraiment la volonté ou l'intérêt de nous donner le statut qui nous est nécessaire pour la réussite de nos élèves.

Alors, petit rouage courageux que je suis, je vais en dépit des circonstances défavorables et des perspectives limitées continuer à tourner de la façon la plus souple possible, en évitant tant que faire se peut de dévier de ma course, ou les ratés, ou de me casser une dent. Comme tous mes camarades directrices et directeurs d'école, c'est l'intérêt des élèves et des familles qui prime, c'est faciliter le travail de mes collègues qui importe. Les consignes du ministère, de l'IEN, de la DGESCO, en bon fonctionnaire consciencieux je les appliquerai dans la mesure de mes possibilités. De toute façon, je ne suis pas fonctionnaire d'autorité, je n'ai qu'une obligation de moyens, celle de faire du mieux que je peux. Sans en avoir le temps ni l'autonomie, ce ne sera pas plus facile demain que ce l'était hier.

Que peut faire un rouage sans huile?

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