mercredi 18 septembre 2013

Une histoire peu claire...


Notre collègue Jacques Risso, directeur et enseignant de l’'école du village de Rustrel, dans le Vaucluse, a été suspendu de sa mission de direction d'école la veille de la rentrée scolaire.

Jacques, vous le connaissez sous le pseudonyme de Jac. Jac propose sur son site de nombreux dessins et caricatures pour dénoncer l'absurdité quotidienne d'une direction d'école sans statut, et par conséquence malheureusement à la merci de tout et de tous.


Ce qui lui arrive est une triste illustration du fait que le directeur d'école, esclave d'une administration qui n'aime pas qu'on la dérange, est souvent le bouc émissaire d'une situation que l’Éducation nationale ne peut pas dénouer sans avouer son incompétence. Sans statut, les directeurs d'école sont des fusibles pratiques, qui court-circuitent le cheminement normal de problèmes qui s'ils suivaient un parcours logique devraient monter beaucoup plus haut dans la hiérarchie de l’Éducation nationale. Car le directeur d'école, rappelons-le, n'est qu'un enseignant chargé de mission, qui injustement prend les coups si un adjoint fait n'importe quoi ou si un accident survient. On lui reprochera de n'avoir pas su "diriger son école" ou "prévenir une situation", alors qu'il n'a aucune des armes nécessaires pour le faire: formation adaptée, statut hiérarchique, pouvoir de décision, etc. Techniquement, quand arrive un problème, c'est le supérieur hiérarchique qui devrait en subir le désagrément, soit l'inspecteur de la circonscription (IEN). L’Éducation nationale a donc inventé et mis en place ces opportuns lampistes que sont les directeurs d'école, faciles à balancer après usage tels de bien pratiques kleenex. C'est ainsi que depuis des années le diplodocus préfère sacrifier ses directeurs plutôt que se poser la question de l'efficacité de son fonctionnement.

Cette rentrée n'a pas failli à la règle des sacrifices rituels, que ce soit à Lucé où la directrice, accusée de harcèlement et de maltraitance sur enfants, a été rapidement blanchie par la Justice mais déplacée quand même (de son propre choix peut-être, il faut l'admettre), ou à Rustrel pour Jacques Risso.

Concrètement, l'histoire de ce dernier est peu claire. D'abord, suspendre un directeur d'école la veille de la rentrée est une décision étrange: si incompétence il y a, pourquoi attendre si tard? Ensuite les faits qui lui sont reprochés manquent de clarté. Pour mieux appréhender ce salmigondis indigeste, il faut écouter le reportage de France Bleu du lundi 16 septembre, qui est éblouissant par son obscurité! Il s'agirait d'une vague histoire de harcèlement entre élèves, dénoncée par des parents sur une plate-forme internet... Certes le harcèlement existe, et dans l'enseignement les directeurs d'école en sont bien souvent les victimes, comme le dénonçaient récemment Eric Debarbieux et Georges Fotinos. Coincés de tous côtés entre une administration qui change d'avis comme de chemise et exige constamment rapports et justifications superfétatoires, des adjoints qui pour certains perçoivent le directeur comme un ennemi, et des familles déboussolées et parfois difficiles, les directeurs d'école n'ont pas la partie facile.

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Mais entre élèves aujourd'hui... souvent les parents trouvent plus facile de voir une situation de harcèlement dans un simple conflit entre enfants qui sans leur intervention n'aurait peut-être aucun lendemain. Quand je pense aux peignées que mes condisciples et moi-même nous mettions à la sortie de l'école! Mais nous ne risquions pas d'en parler à nos maîtres ni à nos parents. Le harcèlement entre élèves existe, le racket aussi, je ne veux pas minimiser les faits. Néanmoins leur inflation aujourd'hui me parait plus que douteuse. Surtout lorsque, c'est si facile, il s'agit de rumeurs et états d'âme parentaux étalés sur internet. C'est comme pour les enfants de quatre ans: même s'ils se font mal en tombant sans aucune intervention extérieure, ils chercheront et désigneront un responsable afin de satisfaire leurs géniteurs, qui ne peuvent admettre que leur descendance puisse se casser la gueule toute seule (je vois ça plusieurs fois chaque année...).

Encore une fois le reportage de France Bleu est édifiant. C'est la Direction Académique du Vaucluse qui a pris la décision de suspension à l'égard de Jacques Risso, et le moins qu'on puisse dire est que son discours est embrouillé: "une plainte sera -serait- déposée"... Donc pour l'instant il n'en est rien! Il s'agit donc d'une suspension préventive? Je ne connaissais pas l'existence d'une telle mesure... Même en droit commun un juge ne propose une détention préventive qu'en cas de flagrant délit. L’administration de l’Éducation nationale fait fort! D'autant que cette plainte reste hypothétique, pour des faits hypothétiques en l'absence d'enquête approfondie. J'apprendrais sous peu que les parents concernés sont anonymes que cela ne m'étonnerait pas. Mais l'IEN de la circonscription de Jacques Risso aurait un dossier de... 200 pages! Waouh! Rien de moins! Ce n'est plus un dossier, c'est un acte d'accusation, cela doit faire plusieurs décennies que les élèves de l'école de Jac s'entretuent sans qu'il intervienne...

Pour la Direction Académique du Vaucluse, cette suspension vise à mettre Jacques Risso à l'abri de familles qui pourraient éventuellement devenir vindicatives. Alors pourquoi s'est-il créé dans son village de Rustrel un comité de soutien (qui se réunira le 21 septembre prochain, pour tout contact soutien.risso@gmail.com) ? Et puis, ce serait bien la première fois que l’administration de l’Éducation nationale prendrait tant de soin d'un de ses agents. Pourquoi alors ne pas le lui avoir dit avant de le faire, et l'avoir suspendu sans explication? Cela sent largement son argument fallacieux de la part de gens bien enquiquinés par la tournure que prend cette histoire. Car Jacques Risso, rappelons-le, n'est pas n'importe qui. Dessinateur attitré du GDiD et souvent de certains syndicats, Jac depuis des années soutient comme moi -comme nous- l'idée que les directeurs d'école doivent avoir un statut spécifique et clair. Son arme étant le dessin, au même titre que la mienne est la plume (ou le clavier), il raconte régulièrement les avanies que nous subissons, ses caricatures et ses traits acérés n'épargnent personne. Il semble bien que dans le dossier à charge contre lui se trouvent un certain nombre de ses dessins, si on en croit Force Ouvrière qui le soutient activement dans sa défense, ou le reportage de France Bleu dans lequel la Direction Académique nie que ce soit le caricaturiste qui soit visé, avec force mais beaucoup de maladresse.

Car il s'agit là d'un fait extrêmement grave, et s'il est avéré l'IEN va à l'encontre de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, qui s'exprime de manière on ne peut plus simple : "La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires." C'est Anicet Le Pors, qui fut ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, qui l'exprime le plus clairement:

Ainsi, l'obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon celui des membres du Conseil d'Etat qui invite chaque membre à "la réserve que lui imposent ses fonctions".

Néanmoins,

Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

Il s'agit donc de savoir, si des dessins de Jacques Risso apparaissent dans le dossier à charge, si ceux-ci ont servi à colporter des faits qui auraient dû ne pas être divulgués. Mais dans ce cas, pourquoi la Direction Académique s'en défend-elle? Pourquoi alors un dossier de 200 pages pour un cas de harcèlement éventuellement mal traité -ce dont d'ailleurs Jacques Risso lui-même se défend vigoureusement-? Bref, cette histoire commence à sentir mauvais. Il est clair que je vais essayer de la suivre de près, car toute tentative d'intimidation à l'encontre de Jacques Risso pour des raisons autres que de réelles omissions, maladresses ou erreurs, alors peut-être justifiée mais qui une fois de plus marquerait le peu de considération qu'a notre administration pour ses directeurs d'école, me paraitrait difficile à supporter, moi qui tiens ce blog certes dans un esprit différent mais pour des raisons similaires. Ferais-je donc bien de le conserver anonyme? J'ai plusieurs fois failli me percer à jour, j'ai peut-être bien fait de ne pas y donner suite. Il semble bien que la liberté de s'exprimer reste très mal vue par une administration qui conserve vaille que vaille nombre de réflexes staliniens.

Jacques, je te garde toute ma considération et mon estime. S'il faut te défendre contre le fait du Prince ou tout abus de pouvoir, je le ferai, et je ne serai certainement pas seul. Les directrices et directeurs d'école de ce pays en ont définitivement marre de se faire exploiter, conspuer, martyriser par tous. Seras-tu le déclencheur d'un mouvement d'envergure? Je ne le souhaite pas, mais je ne m'y soustrairai pas non plus.

2 commentaires:

  1. Bien sûr que cette histoire pue à plein nez... Bien sûr que tout directeur honnête sait parfaitement bien qu'il n'y a pas de suspension, ni de dossier de 200 pages pour une sombre histoire de harcèlement entre élèves, sinon on serait tous suspendus depuis longtemps. Bien sûr que tu as eu bien raison de garder l'anonymat, tout comme je le fais dans mon propre blog. C'est peut-être pas courageux, mais parfois on a besoin de travailler pour vivre... Cette histoire est scandaleuse, mais malheureusement pas étonnante. Nous travaillons pour une broyeuse... Ayant pourtant moins de 20 ans de métier, j'ai déjà eu plusieurs fois le triste privilège de croiser des gens tombés dans le colimateur de cette institution à la fois informe et multiforme. Souvent, ce sont des gens qui ont eu un début de carrière normal (voire prometteur) et qui, un jour, ont dit ou fait quelque chose qui a déplu... Et à partir de là, ce fut une longue, longue descente aux enfers.

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    1. pour en savoir plus l'article du quotidien La Provence:

      http://snudifo84.fr/chrono_upload/chrono7762_1.pdf

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