dimanche 10 novembre 2013

La noyade...


Qui se noie? L'école. Et moi avec.

Submergé par les vagues depuis la rentrée, je suffoque et je m'agite, mais je ne fais que m'enfoncer un peu plus à chaque mouvement. Une bonne solution serait de ne plus bouger, de faire la planche, et de laisser les flots me bercer. Mais les vagues sont trop fortes.

Les vagues de mon propre travail d'abord. A plein temps avec mes élèves, nombreux, trop nombreux, que je dois porter à bout de bras depuis le début de l'année pour les rassurer, leur montrer que je ne veux que les accompagner pour les aider à grandir. Qui le dira? Certainement pas ceux qui n'ont jamais exercé ce métier, et qui croient qu'enseigner en maternelle est une longue sieste ponctuée de jeux divers et de récréations. C'est épuisant, usant, c'est énergivore et vampirisant. La classe ne semble homogène qu'en surface, les enfants sont fatigués d'avoir repris ce rythme scolaire que pourtant je m'évertue à rendre le plus proche possible de leurs besoins physiques et de leurs aspirations. Et qu'on ne vienne pas me raconter que les "nouveaux rythmes scolaires" sont en cause, ma commune ne les a pas mis en place cette année; les revendications de ceux qui osent manifester le pipeau à la bouche contre le travail du mercredi matin puent la manipulation, la politisation, la bêtise. Ah oui, en plus il pleut aujourd'hui et il n'est pas question de mettre sous la pluie sans préau des enfants de cet âge qui de toute manière choisiront la flaque la plus proche pour s'y étaler malencontreusement si  ce n'est avec délectation.

Les vagues de ma mission de direction ensuite. La fonction s'est allégée? Mon cul! Oui, je suis grossier, mais c'est bien ce que je ressens. A mesure des dernières années où se trouvaient facilités certains aspects du métier de directeur d'école, d'autres prenaient le dessus, comme la gestion des personnels divers et variés dont on précipite quelques-uns comme des mouches sur l'école à coup de slogans -EVS, AVS, et j'en passe...-, ou les relations avec les familles qui enflent démesurément, ou encore les relations avec les partenaires naturels de l'école comme la municipalité. Je communique à tout-va, je réunionne à qui mieux mieux, j'affiche et je placardise, j'informe tout le monde en tout temps et tous azimuts. Je n'ai oublié personne? Ah si, celui-là il faut que je lui envoie un courriel... non, un courrier écrit... zut, je fais les deux, il ne pourra pas dire qu'il n'est pas au courant. Au fait, et la réunion du tant, je n'ai pas encore fait le compte-rendu. Ah, et puis il y a réunion pour le PEDT. Crotte, c'est le même soir que le conseil de cycle! Conseils de maîtres, de cycle, d'école, liaisons diverses, réunions de préparation, réunions pour les élèves handicapés intégrés, PAI, patati, compte-rendus, animations pédagogiques, patata, coups de téléphone, courriers, courriels, ah tiens une inspection bonjour Madame vous ne me mettez qu'un demi-point alors vraiment je ne vois pas pourquoi vous êtes venue me casser les pieds vous ne voyez pas que j'ai autre chose à faire, la paperasse s'envole, le modem chauffe, la photocopieuse s'enraye... et ma voix déraille, je m'emmêle les mots et les pinceaux, n'ai-je rien oublié ah si je dois faire un certificat de scolarité pour le petit *** et voilà et voilà et voilà...

Toutes ces activités qui me font courir dans tous les sens, tous ces salamalecs, je pourrais en faire façon. Après toutes ces années de don de moi quasi gratuit j'ai appris à m'en débrouiller. C'est le foutoir? Oui, évidemment. Mais je me recentre sur ce qui compte, c'est à dire les élèves, et le reste je le fais quand je peux si je peux. Autant dire tout de suite que j'ignore royalement certaines injonctions -j'attendrai un éventuel rappel, s'il vient ce dont je doute fort avec l'habitude- et que je remplis par-dessus la jambe tableaux divers et autres statistiques qui ne me servent pas directement. C'est honteux? Même pas, rien à faire, cela fait combien d'années que je réclame pour les directeurs d'école tels que moi que le ministère tienne compte de ce qu'est devenue notre mission? Alors moi je m'occupe des gosses, c'est pour ça que je suis payé, c'est ça qui me fait manger, pas de faire l'andouille et de me tuer à la tâche pour une administration qui m'ignore. Je ne vais certainement pas me foutre en l'air pour des gens qui m'exploitent depuis des lustres en faisant semblant de compatir à mes malheurs.

Non, ce qui me gêne le plus, c'est que je me serais volontiers passé de certaines des vagues qui m'assaillent depuis le début de l'année scolaire, et qui sont lâchées par des syndicats politisés à l'extrême et des politiciens qui veulent se placer pour les prochaines élections, européennes ou municipales, voire les présidentielles de 2017. L'action politique dans ce pays atteint le fond de la fosse à purin. Certains syndicats d'enseignants ont ouvert les écluses en dénonçant de façon irraisonnée le changement des rythmes scolaires, tout ça pour "se payer" un gouvernement. Des élus nauséabonds ont pris le train en marche, histoire d'accentuer le bordel général face à un État incapable de réagir. Des soi-disant associations ou regroupements de parents d'élèves ont embrayé le pas. Et tout ce petit monde s'agite, raconte n'importe quoi, beaucoup d'enseignants pourvus de la conscience politique d'une huître croient ce qu'ils entendent (c'est souvent le dernier qui parle qui a raison). C'est n'importe quoi, et ça met une ambiance détestable. C'est déstabilisant. Cela me fout le moral en l'air.

Que vont devenir là-dedans les vraies questions qui réellement pourraient influer sur le cours de l'histoire du système éducatif français? Que va-t-il advenir de mes revendications, de celles du GDiD, quant au devenir de la direction d'école? Elles vont certainement se noyer avec moi, pour le plus grand bonheur des attentistes ou des réfractaires qui à la suite de FO, SUD et la CGT ne veulent rien rien rien et refusent tout tout tout ce qui pourrait faire évoluer favorablement l'école. Tout cela au détriment bien entendu de nos élèves, dont les centrales syndicales n'ont rien à faire. Leur action présente est un plein succès. J'ai bien peur que les semaines à venir voient disparaître les avancées importantes qui auraient pu être faites, que ce soit dans le statut général des enseignants ou le statut particulier des directeurs d'école. On voudrait que je jubile? Certainement pas. Avec des perspectives, même sommaires, mon moral remonterait à coup sûr. Mais là...

J'ai déjà sur ce blog filé la métaphore maritime. Je me voyais avec ma petite école en capitaine de caboteur, rasant les côtes au mépris du danger et affrontant courageusement la houle. Je l'avoue, je suis tombé à l'eau. J'essaye avec une corde de tirer mon bateau, mais la tempête est cette fois violente. Je ne crois pas que je vais tenir longtemps, et en dépit de mon expérience soit je lâcherai la corde, soit je me noierai. Je préfère la première solution. C'est dommage, mais je n'ai guère d'alternative. Car je ne crois plus beaucoup que ce gouvernement saura me remonter sur le pont, ou simplement me jeter une bouée.

Déprimé? Complètement.

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