mercredi 29 mai 2013

Je me marre !


Nous savons tous que dans la troïka syndicale pour laquelle le statut des directeurs d'école équivaut aux tribunaux de l'inquisition, SUD tient une place de choix. "Ni Dieu ni maître" est leur leitmotiv constant, leur credo et leur confiteor.

C'est pourquoi je rigole quand je lis une de leurs dernières productions, car oui, je parcours quasi quotidiennement tous les sites syndicaux: il est bon de connaître son ennemi par cœur mieux que lui-même se connait. Vous la trouverez ICI, cette bafouille.

Manifestement, vu leur commentaire sur le site, les gens de SUD n'ont pas lu leur propre enquête, mais baste! Nous avons l'habitude chez ces gens-là des dénis de réalité. Ils n'ont pas peur non plus de leurs propres contradictions, mais là aussi les comportements infantiles ne me paraissent pas vraiment étranges dans un syndicat aux objectifs aussi absurdes que le refus systématique de tout et surtout l'acceptation systématique de rien.

Il s'agit donc d'une enquête sur les conditions de travail dans le Finistère, région fort à mon goût que je connais assez bien pour l'avoir parcourue en tous sens depuis pas mal d'années. J'adore la Bretagne, j'adorais les bretons, depuis quelques minutes j'adore mes collègues bretons.

Je cite la partie qui nous intéresse:

Le rapport à une hiérarchie plutôt distante

En fonction du niveau d’enseignement, « l’administration » ne renvoie pas à la même réalité. Dans les collèges et les lycées, il y a une administration de proximité, avec un chef d’établissement qui est l’interlocuteur direct pour le corps enseignant. Par contre dans les écoles primaires, l’interlocuteur n’est pas dans la proximité immédiate et quotidienne, cela renvoie à l’échelon de l’IEN (inspecteur de circonscription).

Cette réalité explique certainement le fait que plus de la moitié des enseignants du Primaire répondent qu’ils ne se sentent pas soutenus par leur administration en situation de conflit. Les équipes sont formées autour d’une direction qui est assumée par l’un ou l’une d’entre eux. C’est donc entre collègues que se joue le travail d’organisation et d’administration de l’école avec une charge de travail spécifique pour celui/celle qui accepte la fonction de direction plus ou moins choisie, plus ou moins reconnue selon des contextes très variables.

Parmi les enseignants du Primaire ayant répondu, 22,8% ont une charge de direction, parmi eux 25 sur 30 ont choisi cette fonction. Une minorité affirme qu’elle leur est imposée ou qu’ils n’ont pas pu passer le relais à un autre membre de l’équipe. 25 ont une décharge et les autres n’ont pas de décharge pour la fonction. Le directeur ou la directrice entretient un rapport égalitaire de collègue à collègue au sein de l’école, ils ne perçoivent pas et ne vivent pas cela comme des rapports hiérarchiques entre eux. La majorité des personnes ayant une charge de direction ne la vivent pas comme une activité valorisante dans leur travail. Ils/elles estiment que le volet administratif et la logique gestionnaire, occupent de plus en plus leur temps au détriment de celle du développement d’un projet pédagogique pour l’école.

Pour les enseignants du Secondaire, le contexte est très différent. Même s’ils se disent plutôt soutenus par leur administration en cas de conflit, presqu’1/3 des enseignants du Secondaire sont critiques sur les rapports avec celle-ci, seulement 11% font état de situations plutôt négatives, les autres soulignent la quasi-absence de rapports.

Sur l’ensemble de l’échantillon, nous avons donc 5% de répondants qui affirment un malaise avec une hiérarchie de proximité, et les 2/3, surtout les enseignants de Primaire, trouvent leur administration distante, impersonnelle et pas vraiment impliquée à l’égard de leur préoccupation professionnelle quotidienne.

Cette indifférence est à mettre en relation avec la demande de reconnaissance précédemment décrite au cours de l’évaluation. Il y a là, des personnels enseignants profondément impliqués dans leur travail qui ne trouvent et n’entendent que rarement un écho de la part de leur administration sur la qualité de leur travail. Ce silence est vécu comme un désintérêt de leur administration de tutelle pour la mission qu’ils remplissent. D’autant plus quand celle-ci intervient et rappelle sa présence uniquement lors des logiques comptables de fermeture/ouverture de classe, de redéploiement de postes. Cette situation renforce l’idée d’avoir à faire à des gestionnaires peu soucieux des réalités de terrain. Il reste à voir si les nouvelles politiques mises en œuvre vont pouvoir redonner confiance et sérénité aux enseignants quant à leur rapport avec leur hiérarchie. C’est-à- dire une hiérarchie soucieuse de la qualité de la mission qu’ils remplissent au quotidien auprès de la population.

J'ai une excellente solution pour ces braves gens qui se plaignent de l'éloignement de leur hiérarchie, et de son absence de conscience des réalités du terrain. Vous voulez connaître laquelle? Allons, si vous lisez ce blog, vous savez à quel point je chante la nécessité absolue et de plus en plus évidente d'un statut clair et différencié pour la direction d'école, reconnaissance administrative et juridique, salaire qui va avec, etc. Qui d'autre qu'un directeur d'école déjà en place pourrait être mieux placé pour accorder à ses adjoints le confort d'une hiérarchie de proximité attentive aux besoins de son école? A condition bien entendu d'en avoir les moyens!

Je me marre!

samedi 25 mai 2013

M'sieur, c'est quoi un dirlo?


- M'sieur, c'est quoi un dirlo?
- On ne dit pas "dirlo", mon grand, on dit "directeur". "Dirlo", c'est un mot trop familier pour que tu l'utilises.
- Oui, M'sieur. C'est quoi, un directeur?
- Un directeur? C'est celui qui dirige. On dit directrice si c'est une femme.
- Il dirige quoi?
- Ah, ça dépend! Si nous parlons d'un directeur d'école, comme moi, il dirige une école. Mais on utilise le mot "directeur" dans de nombreux domaines: on peut être directeur de magasin, on peut diriger un centre de vacances, une crèche, on peut être directeur de cabinet...
- Ouah trop fort! Directeur de cabinet!
- Ce n'est pas ce que tu crois. Il ne s'agit pas des toilettes que tu utilises quand tu en as besoin. Un directeur de cabinet, c'est quelqu'un de très important, qui travaille directement pour un ministre. On peut être directeur artistique, directeur financier, directeur commercial... Bref, on dirige une équipe de plusieurs personnes, parfois même nombreuses.
- Et ça veut dire quoi, M'sieur, "diriger"?
- Cela signifie qu'on organise le travail des autres, qu'on fait tout pour qu'ils puissent travailler sereinement, en sécurité. On vérifie aussi qu'ils ne font pas de bêtise.
- Des bêtises, M'sieur? Des adultes?
- Eeeeh oui, mon grand, ce n'est pas parce qu'on est adulte, hélas, qu'on ne fait pas d'ânerie...
- Et vous, M'sieur, vous faites tout ça?
- Dans l'école, oui. Tu vois, chacun des maîtres et chacune des maîtresses de ton école fait ce qu'il veut dans sa classe pour vous apprendre plein de choses. Moi je suis là pour qu'ils puissent travailler en même temps dans les mêmes lieux, pour qu'ils n'aillent pas au gymnase tous en même temps, par exemple. J'organise aussi le travail en commun, quand nous devons tous réfléchir à la meilleure façon de vous faire réussir vos études, ou quand nous voulons faire la fête de l'école. Je veille aussi à ce que l'école soit bien nettoyée, ou à ce qu'il n'y ait rien de dangereux qui traîne. Tiens, tu te rappelles quand le poteau de basket était descellé?
- C'est vous qui l'avez réparé, M'sieur?
- Ah non, mais j'ai contacté la Mairie qui a envoyé quelqu'un tout de suite. Moi, je ne saurais pas le faire. Et puis, les toilettes des filles qui étaient bouchées...
- C'est des cochonnes! C'est quand même pas vous qu'avez enlevé le PQ, M'sieur?
- Non, j'ai averti la Mairie. Et tu dois dire du "papier-toilette".
- Oui, M'sieur. Dites...
- Oui?
- C'est vrai que les adultes, ils font des bêtises?
- Hélas, oui.
- Les maîtres? Les maîtresses?
- Oui, parfois, ça peut arriver. Alors je fais tout pour qu'ils n'en fassent pas, j'organise tout pour que tout soit bien clair pour eux.
- Ils le font exprès?
- Généralement, non, c'est juste une maladresse, ou une erreur, et ça peut arriver à tout le monde, à toi, à moi aussi. Je fais attention à prévenir ce qui pourrait arriver.
- "Prévenir"?
- J'imagine ce qui peut se passer, et j'y fais attention par avance.
- M'sieur, vous avez dit "généralement". Ça veut dire que des fois, ils font des bêtises exprès?
- C'est rare, mais j'ai vu ça, oui.
- C'est dégueulasse, M'sieur!
- Mais comment tu parles, toi? On ne dit pas le mot que tu as prononcé, on dit "ce n'est pas bien", ou "c'est révoltant".
- C'est révolutant, M'sieur!
- RévoLtant, pas... Bon, je suis d'accord. Il y a parfois des gens qui ne méritent pas la peine et le temps qu'on leur consacre. Mais c'est mon travail. Tout ça pour que vous, vous puissiez apprendre et travailler tranquillement.
- Vous faites un beau métier, M'sieur.
- C'est vrai. Quand je suis fatigué, je me le répète souvent, pour ne pas l'oublier.
- Vous devez être super bien payé, M'sieur!
- Tu crois? Oui, je le devrais certainement. Mais non, je ne suis pas bien payé.
- Pourquoi?
- J'aimerais bien le savoir! Je suppose que personne ne sait à quel point mon métier est difficile, ou le temps que j'y passe...
- Parce que vous êtes le chef, M'sieur?
- Mon Dieu, ne dis pas ce mot-là! Si les maîtres et les maîtresses t'entendaient, ils pousseraient des hurlements, parce qu'ils ne veulent pas de chef dans leur école! Non, leur chef, mon chef aussi, c'est Monsieur l'Inspecteur.
- Pourtant, M'sieur, quand vous dîtes quelque chose, c'est important...
- Oui, certainement. Je pense qu'ils ne veulent pas de chef, mais qu'ils sont bien contents souvent quand quelqu'un prend les décisions à leur place, ou réfléchit à leur place, ou... Va comprendre Alexandre!
- Moi c'est Kevin, M'sieur, pas Alexandre.
- Oui, je sais, c'est juste une expression.
- Ah oui, c'est parce que ça rime?
- Bravo!
- Mais M'sieur, si vous êtes pas le chef, et si vous êtes pas bien payé, pourquoi vous êtes dirlo?
- "Directeur"! Et puis, tu ne mets jamais de négation quand tu parles, toi?
- Pardon, M'sieur, mais moi je trouve ça rétolvant!
- RéVoltant! Oui, c'est gentil ce que tu dis. Et pour te répondre, j'aime bien ce que je fais, parce que c'est pour vous, les enfants, que je le fais.
...
- M'sieur...
- Oui?
- Le mercredi, je vais au centre aéré. La directrice, elle est comme vous? Elle est pas chef, et elle est mal payée?
- Je ne peux te dire si elle est bien payée, mais elle, elle est chef! La directrice du centre aéré a un statut.
- Une statue?
- UN statut. Cela signifie que son travail est clairement défini, que ce qu'elle peut faire l'est aussi, que c'est elle qui décide de ce qu'il convient de faire, des méthodes de travail, etc...
- Vous n'avez pas de statut, M'sieur?  Vous ne pouvez rien décider?
- Exactement, tu as tout compris.
- C'est bizarre votre métier de dirl... directeur, M'sieur.
- C'est ce que je me dis parfois aussi.
- Ma petite soeur, elle va à la crèche. La directrice de la crèche, elle a un statut?
- Oui.
- Et puis mon grand frère, Michaël, il est dans une école privée, vous savez? Mes parents l'ont enlevé de la classe de la mère XXX.
- Kevin!
- Pardon M'sieur, de Madame XXX.
- (soupir) Oui, je me rappelle trèèèès bien...
- Le directeur de l'école de mon frère, il est comme vous alors? Parce que là-bas, ça barde quand il descend dans une classe, c'est Michaël qui me l'a dit. Y'avait un garçon qui avait fait mal à une fille, et attention les yeux! Le directeur, il a convoqué, les parents, et ça a chauffé.
- Le directeur de l'école de ton frère n'est pas comme moi. Lui, il a un statut. D'ailleurs, tous les directeurs de quoi que ce soit ont un statut... sauf les directeurs d'école.
- Mais c'est idiot, M'sieur!
- Je suis parfaitement d'accord. A défaut de parler correctement, nous aurons au moins réussi à t'apprendre à raisonner proprement. Allez, c'est l'heure de rentrer. Tu vas tirer la cloche, Kevin?
- Oui M'sieur, et merci M'sieur.
- C'est moi qui te remercie, Kevin, c'est moi qui te remercie...

Ita diis placuit...


Ainsi donc la Cour de comptes a sorti un rapport accablant sur le système éducatif français... Tout le monde en parle, personne dans le public n'y comprend rien, à part l'idée générale et juste colportée par nos médias que le système ne fonctionne pas, que l’Éducation nationale est gérée telle une gargote, et que les enseignants du primaire sont payés au lance-pierre. C'est toujours ça.

Autant le dire tout de suite, j'ai eu l'impression en lisant le rapport de me replonger dans les anciens billets de ce blog, tant j'y ai retrouvé d'évidences que je clame et proclame sans défaillir depuis des mois.

Les réactions les plus drôles à cette publication viennent évidemment de nos inénarrables syndicats, qui n'en loupent pas une pour se décrédibiliser un peu plus quotidiennement auprès du public comme auprès des enseignants. Nos vaillants syndicalistes, après des mois d'inaction à se chauffer les pieds devant les cheminées de leurs permanences, se sont soudain mis à courir dans tous les sens en poussant des cris d'orfraie. Certains sont même allés baver dans les médias, sur les ondes, à la télévision, en arborant leur mine la plus outragée alliée à une expression d'intelligence rare sur le visage. Les réactions les plus comiques viennent -bien entendu- de la FSU, dont le talent jubilatoire n'est plus à démontrer, qui dénonce sans rire "un rapport à la sauce Chatel" et nous assène le plus sérieusement du monde que ce rapport "ouvri­rait la porte au clien­té­lisme". Il est vrai que dans ce domaine la FSU sait de quoi elle parle, l'ayant toujours pratiqué sans vergogne. Citons également ce qualificatif incantatoire pour une Cour des comptes "Méconnaissant volontairement les réalités", qui frôle l'irruption de sa propre conscience dans une FSU infantile. Une autre réaction qui m'a fait me tordre de bonheur sur le tapis est celle du SNALC-FGAF, dont j'ignorais totalement l'existence, qui appelle sans même rougir à "faire taire la Cour des comptes". Je n'ai pas pu ne pas rapprocher toute cette agitation d'un propos lu dans Vousnousils, dans lequel M. Tian, député UMP des Bouches-du-Rhône, déplore le nombre impor­tant de temps pleins accor­dés à la repré­sen­ta­tion syn­di­cale au sein de l’Éducation natio­nale. Il est vrai qu'avec une moyenne de 20 temps-plein accordés aux syndicats par département, nous sommes largement au-dessus des besoins, et au-dessous d'une réelle représentativité qui inclurait nombre de "petits" syndicats qui ne sont pas du tout concernés par cette manne ministérielle. Comme M. Tian d'ailleurs, "je me pose sérieu­se­ment la ques­tion sur ce que pro­duisent ces per­sonnes tout au long de l'année. J'ai le sen­ti­ment que les syn­di­cats se battent davan­tage pour conser­ver leurs acquis que pour le bien com­mun. Il y a pour­tant de vrais com­bats à mener dans l’Éducation nationale!". Comme je m'attends aux réactions outragées habituelles devant ces propos, je préciserai qu'il est clair, pour qui est dans le métier d'enseignant -et plus encore comme moi depuis trente-cinq ans-, que la "défense des personnels" et la partie utile de la fonction syndicale doivent représenter à peine 20 % du temps de ces gens-là. Mais pourquoi me donne-je la peine de citer M. Tian? Beaucoup des lecteurs de ce blog, enseignants à la pensée déformée par de longues années de lavage de cerveau, pensent certainement fort démocratiquement que les propos d'un homme "de droite" ne devraient même pas être cités... Allez sur les forums d'enseignants, vous verrez à quel point les professeurs de vos enfants peuvent faire preuve d'imbécillité dans le domaine de la libre expression, cette dernière ne pouvant être que la leur, et certainement pas celle des autres, surtout évidemment s'ils n'ont pas le même avis qu'eux. Tout cela bien entendu en brandissant bien haut le drapeau de la démocratie, dans lequel ils s'enrubannent avec soin en veillant à ne surtout pas le partager. Voilà qui me rappelle à chaque fois les heureuses républiques "populaires et démocratiques". Si, si, parcourez les forums d'enseignants, c'est un régal de fin gourmet.

Il serait tout de même passionnant que notre fameuse Cour des comptes fasse un petit tour dans ceux des syndicats, qui ne doivent pas être piqués des hannetons.

Dois-je rappeler à ces heureux hurluberlus de syndicalistes payés avec nos impôts pour mentir et se goberger -tout en se persuadant narcissiquement de leur propre importance- que la Cour des comptes, comme elle le rappelle elle-même dans son rapport, "ne se prononce que sur son champ de compétence, c’est-à-dire sur l’organisation et le fonctionnement de la gestion, son efficacité (c'est-à-dire sa capacité à atteindre les objectifs fixés dans la loi) et son efficience (c’est-à-dire sa capacité à le faire au meilleur coût)."? Inutile, la levée de bois vert syndicale ne me parait guère qu'une ultime réaction d'agonisant, qui ne comprenant plus rien à rien et ne représentant plus personne, tente vainement de faire entendre sa voix, si enrouée soit-elle, avant de crever la bouche ouverte.

Passons sur les syndicats, ils ne valent pas la peine qu'on s'en préoccupe. Qu'écrit donc la Cour des comptes, qui vaille tant de commentaires? Je ne rentrerai pas dans les détails, nombre de journaux l'ont déjà fait. Et mon résumé dans le premier paragraphe de ce billet est parfaitement juste, s'il est lapidaire:
1) l’Éducation nationale est une faillite monstrueuse pour ce qui regarde la réussite des élèves, en dépit de l'engagement des enseignants;
2) l’Éducation nationale est gérée comme une pétaudière par une armée mexicaine dont l'efficacité est inversement proportionnelle au nombre des hauts fonctionnaires qui s'y prélassent;
3) les enseignants du primaire sont payés un tiers de moins que leurs homologues des autres pays de l'OCDE, et certainement pas comme ils le devraient et le mériteraient;
4) plus personne ne veut être prof: embaucher au niveau d'un master a eu "pour effet de réduire le vivier potentiel des candidats, tout en plaçant le métier d’enseignant en concurrence avec les autres professions recrutant à un niveau de formation équivalent mais offrant des rémunérations plus attractives. Enfin, la nouvelle formation initiale et, surtout, la suppression de l’année de stage en alternance, ont pu décourager certains candidats potentiels."Qu'en termes choisis tout cela est-il dit! Je résume: prof est un métier de merde mal payé qui réclame de longues années d'étude.

Bref, il n'y a rien dans ce rapport que quiconque ignore qui s'intéresse au métier d'enseignant. Mais que la Cour des comptes l'exprime fait plaisir. Que la Cour dise qu'on ne motivera aucun prof en lui jetant quelques os à ronger à la fin du repas est parfaitement opportun. Même si ça enquiquine un gouvernement qui n'a plus un sou, tant il s'est engagé dans des promesses intenables qui l'entravent aujourd'hui. Même si ça enquiquine des syndicats qui imaginent leurs sinécures menacées, surtout dans le secondaire. Car quelques mesures suggérées par la Cour des comptes, et qui relèvent du bon sens, il est vrai feraient perdre aux centrales syndicales une partie de leur pouvoir de nuisance sur le monde enseignant.

Il est par exemple suggéré qu'avant toute nomination dans une école ou un établissement, un enseignant devrait agréer le projet dudit établissement, et être adoubé par le principal, le proviseur, ou le directeur d'école. Ce qui de facto rendrait toute nomination "à profil", et mettrait fin à la main-mise syndicale sur les nominations qui s'effectuent aujourd'hui selon un sacro-saint barème âprement défendu par des syndicats qui préfèrent une pseudo égalité de traitement à la moindre velléité d'efficacité. Ayant personnellement connu il y a quelques années l'arrivée inopinée de collègues qui ont allègrement  refusé de s'investir dans un projet d'école longuement réfléchi et travaillé en équipe, et ont foutu en l'air des années de boulot au service des familles, j'applaudis de tous mes membres à l'idée d'une telle mesure. J'avais à l'époque, dégoûté, préféré quitter l'école, après une fête chaleureuse organisée par des parents d'élèves reconnaissants.

Je suis d'autant plus favorable à une mesure de ce genre qu'en filigrane elle consacre également la place particulière des directeurs d'école dans le système éducatif français. C'est par la Cour des comptes un début de reconnaissance que notre mission est devenue au fil des ans un métier particulier, qui mérite d'être clarifié et reconnu. Le professionnalisme et la spécificité des directeurs d'école ne sont pas pour la Cour des comptes des tabous qu'il est impossible d'évoquer. Et quand elle préconise une gestion déconcentrée de l’Éducation nationale, c'est aussi à nous qu'elle pense. Appelant moi-même depuis des lustres à l'autonomie des écoles dans leur fonctionnement et leurs projets, je jubile! Je suis plus que jamais profondément persuadé que ce n'est que de cette façon que notre école pourra redevenir pleinement efficace dans sa mission, au plus près des besoins des élèves. Certes, on pourra faire la fine bouche et dans une moue dubitative regretter que la Cour des comptes ne mette pas clairement en exergue la nécessité de donner enfin à la direction d'école le statut qui lui est nécessaire, mais tout ce qui va dans notre sens ne peut qu'être salué, et sera dans les discussions "imminentes" nous concernant un argument supplémentaire que nous pourrons faire valoir.

lundi 20 mai 2013

Au commencement était le verbe...


Être directeur d'école, et dans mon cas d'école maternelle, c'est en 2013 être de façon permanente dans l'action. Les directeurs d'école connaissent à fond l'idée de "verbe" pour représenter leur métier, surtout si la taille de leur école implique pour eux une pratique de classe partielle ou totale -c'est mon cas-. Quelles actions effectuons-nous donc, quotidiennement ou presque?

Pour l'école:

diriger - regarder - s'informer - noter - vérifier - contrôler - préparer - réunir - encadrer - présider - impulser - animer - communiquer - proposer - réfléchir - inventer - créer - évaluer - répartir - respecter l'équité - ouvrir - fermer - écrire - photocopier - anticiper - compter - comptabiliser - compléter - acheter - chercher - appeler - rappeler - téléphoner - réparer - courir - monter - descendre - arpenter - admettre - radier - assurer - accepter - refuser - organiser -  gérer - appliquer la Loi - connaître - maîtriser - mobiliser - sécuriser - équiper

Pour leurs adjoints:

préparer - impulser - accompagner - développer - contrôler - vérifier - valider - signer - interdire - autoriser - permettre - susciter - favoriser - animer - proposer - former - collaborer - convaincre - démentir - s'informer - informer - espérer - insister - avertir - respecter - répondre - calmer - consoler - rassurer - soupirer - sourire - répartir - transmettre - temporiser - communiquer - expliquer - mobiliser - dynamiser - rassembler - fédérer - synergiser

Pour leurs élèves:

enseigner - éduquer - transmettre - écouter - respecter - dire - expliquer - contrôler - espérer - évaluer - respecter l'équité - valider - apprendre - préparer - inventer - rendre autonome - appeler - installer - répartir - répéter - montrer - soupirer - écrire - photocopier - tapoter l'ordinateur - gommer - brosser - corriger - noter - surveiller - interdire - autoriser - permettre - sécuriser - protéger - convaincre - démentir - éveiller - susciter - tenir - séparer - admonester - disputer - sévir - avertir - rassurer - consoler - embrasser - respecter - habiller - lacer - sourire - laver - nettoyer - ranger - jouer - courir - intégrer

Pour l'administration:

recevoir - répartir - expliquer - transmettre - rapporter - informer - signaler - collationner - appliquer - écrire -compter - comptabiliser - administrer - tapoter sur l'ordinateur - courir - répondre - chercher - appeler - rappeler - téléphoner - être admonesté - subir - accepter - refuser - courir - monter - descendre - arpenter - attendre - convaincre - rendre des comptes

Pour les familles et l'extérieur:

représenter - demander - réclamer - recevoir - noter - temporiser - arrondir les angles - intégrer - respecter - communiquer - écouter - sourire - dire - accepter - refuser - répondre - expliquer - convaincre - démentir - informer - insister - espérer - patienter - rassurer - appeler - rappeler - téléphoner - tapoter l'ordinateur - photocopier - certifier - calmer - être insulté - être battu - mobiliser - fédérer

... et j'en certainement oublié beaucoup, évidemment. Avoir une direction d'école, en 2013, c'est se multiplier à l'infini en passant en un éclair d'un rôle à un autre; c'est avoir le don d'ubiquité pour être simultanément avec ses élèves, les parents, les enseignants, son Maire, devant son ordinateur et au téléphone; c'est être Dourga, un absolu personnel aux milliers de bras qui lacent, embrassent, écrivent, stoppent, serrent des mains ou tiennent un téléphone ou un stylo ou un toner de photocopieur... C'est infaisable? Bien sûr. C'est pourtant notre quotidien.

dimanche 19 mai 2013

Imminence grise...


La DGESCO a récemment assuré ses interlocuteurs du GDiD, qu'elle recevait avec curiosité et courtoisie, que les discussions quant à l'avenir des directeurs d'école étaient "imminentes"...

Comme le temps, cette imminence prend des couleurs de grisaille, à mesure que les heures et les jours et les semaines passent. Au fait, quel est le temps d'une imminence? Incessamment sous peu? Très bientôt je vous l'assure? Sans délai c'est certain? Mais ça traîne, messieurs, mais ça traîne...

Bon appétit, messieurs !
O ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure...

Pastiche...


samedi 18 mai 2013

Perspectives européennes...


On parle beaucoup de l’Europe, en ce moment. Et des institutions européennes. Il est envisagé de davantage fédérer les nations qui ont choisi l'euro comme monnaie unique autour de structures économiques et administratives communes. Il est vrai que c'est un choix envisageable pour sortir notre continent du marasme qui l'affecte, alors que d'autres parties du monde connaissent des taux de croissance exponentiels. La Chine, l'Inde, le Brésil sont en train de devenir des grandes puissances, alors que la France, l'Espagne ou l'Italie, nations anciennes qui ont fait en partie l'Histoire, s'enfoncent graduellement dans l'impuissance et la morosité.

Évidemment il sera nécessaire, si structures communes il y a, de drastiquement passer à la serpe nos pyramides administratives françaises, enflées de fonctionnaires incompétents et en partie inutiles, comme celle que je dénonce régulièrement de l’administration de l’Éducation nationale. Combien dans cette pyramide d'étages qui ne servent plus à rien? Quel poids de normes, règles, lois et directives diverses qu'il nous faudrait sérieusement alléger? Combien de temps perdu pour l'application d'une mesure nécessaire ou urgente? Quelle autonomie constamment refusée au profit d'admonestations et d'injonctions inadaptées aux fonctionnements sur le terrain? En ce sens, les perspectives européennes sont certainement une chance qu'il nous faudra saisir pour enfin réformer notre état jacobin et centralisateur, et donner aux agents de terrain la souplesse et la possibilité d'action comme d'adaptation que nécessite une société moderne aux besoins toujours plus diversifiés et aux changements toujours plus rapides.

Il nous faudra, sinon unifier, du moins rendre les systèmes éducatifs européens semblables, ne serait-ce que parce qu'aujourd'hui un étudiant commencera sa scolarité supérieure dans un pays pour la continuer dans un autre. C'est un chance pour l'acquisition de connaissances et de compétences. Les années qui viennent montreront de plus en plus la nécessité d'accroître ces échanges, et je suis persuadé que dans peu d'années il sera facile et utile qu'un enseignant allemand ou français puisse enseigner en Italie ou en République Tchèque, et vice-versa. Comme les élèves eux-mêmes se verront offrir la même possibilité de commencer leur scolarité dans un pays pour la continuer dans un autre, car le marché du travail en Europe devra forcément s'élargir et pleinement être ouvert quelle que soit la nationalité du parent d'élève concerné qui voudra suivre les opportunités qui lui seront offertes ailleurs.

Cela signifie qu'il deviendra impossible en France de laisser perdurer notre système actuel, qui aujourd'hui montre, en dépit des efforts désespérés quotidiens des enseignants et des directeurs d'école, qu'il a atteint ses limites et est devenu parfaitement inopérant, abandonnant en déshérence chaque année des milliers d'enfants inadaptés à un système trop rigide et hors d'âge.

L'exemple des maintiens, ou redoublements, est parlant. Il faut considérer que ce sont en France la rigidité de nos programmations annuelles et la non-application des cycles qui font que nous les considérions comme des opportunités viables. D'autres organisations scolaires dans d'autres pays voisins font façon des difficultés de l'enfant pour les pallier le plus rapidement et le plus efficacement possible, sur le temps scolaire, sans rallonger la scolarité. C'est une spécificité française inefficace, mais hélas inhérente à notre système. Une sorte de mal nécessaire. Qu'on nous donne l'autonomie de moyens et de fonctionnement dont nous avons besoin, qu'on nous permette de gérer la difficulté avec d'autres méthodes, qu'on mette fin à la répartition en classes d'âges, bref que nous puissions suivre l'exemple d'autres pays européens qui ont eu le courage de réformer leur système scolaire, et les maintiens ou redoublements deviendront une scorie de l'histoire de l'éducation.

Je veux être clair: jamais en trente-cinq ans de carrière je n'ai vu un redoublement efficace sur le long terme, l'enfant concerné finissant irrémédiablement sa scolarité avec un parcours totalement différent de celui des camarades de son âge et traînant toute sa vie un boulet scolaire d'échec dont l'éducateur que je suis doit nécessairement avoir honte. Oh, ce n'est certes pas ma faute, c'est un drame collectif entraîné par un système scolaire inéquitable. Mais pourquoi insister? Certes vous me trouverez toujours un contre-exemple, mais pour combien d'échecs patents?

Lorsque j'étais enfant, l'épée de Damoclès du "redoublement" était une peur récurrente. J'étais pourtant excellent élève. Mais cette sanction irrémédiable nous faisait à tous une peur bleue. Nous perdions contact avec le condisciple ainsi stigmatisé, qui dans une autre classe quittait notre horizon scolaire, quelque bon camarade il ait pu être, et restait marqué à nos yeux d'une tache ineffaçable. Et puis, il faut bien le dire, nous avons tous rencontré dans notre scolarité un instit ou un prof abominable, de ceux qui vous terrorisent, vous font lâcher toute envie de travailler, ou vous dégoûtent d'une matière. Ce fut mon cas au collège, avec une prof de maths qui me détournera des activités mathématiques pour nombre d'années. Ce ne sera qu'adulte, quinze ans après, que je redécouvrirai le bonheur des raisonnements logiques et de la géométrie, et surtout le plaisir de les enseigner. Pouvons-nous imaginer perdurer dans un système qui permette ce genre d'incident, qui peut être grave, sans localement aucun moyen de le pallier? Un enseignant a le droit d'être absent, d'être déprimé, d'être malade, cela nous arrive à tous, cela m'est arrivé. Devons-nous pour autant condamner les enfants dont il a la charge? Pouvons-nous faire abstraction du besoin fugace de certains de nos élèves d'un coup de main ponctuel, d'une aide momentanée? Pouvons-nous faire abstraction d'un découragement éphémère, d'une lassitude liée à l'histoire familiale ou à un coup de fatigue? Certes non. Pourtant rien dans l'organisation de nos écoles ne facilite le soutien ou l'assistance provisoires dont certains enfants ont besoin lors de leur scolarité. Car cette aide ne peut venir que de l'enseignant lui-même, mère ou père putatif dont l'affection est si importante pour l'élève -c'est en partie le fameux "effet maître"-, et surtout sur le temps scolaire au cours des apprentissages, et non en sortant l'enfant de sa classe ou en lui rajoutant un temps d'apprentissage supplémentaire. En avons-nous le temps? Parfois, pas toujours hélas. L'école est-elle organisée pour? Parfois, quand il existe dans une école une équipe enseignante consciente, mais hélas généralement pas, car le système scolaire français n'est pas organisé pour, qu'il s'agisse de la répartition des enfants par classes d'âge, par lieu géographique au sein de l'école, avec UN enseignant désigné, avec des programmes démentiels... Et même si l'équipe d'enseignants voulait travailler différemment, rien n'est fait pour lui faciliter la tâche, et surtout pas la structure rigide et cloisonnée du système qui favorise l'individualisation et l'égoïsme des professeurs au détriment des besoins collectifs et évidemment de ceux des enfants.

Vous surprendrai-je si en cette fin de billet je rappelle quelques-unes de mes obsessions? Tous les pays européens qui ont rénové et modernisé leur système éducatif l'ont fait en exaltant l'autonomie des écoles et en donnant à leurs directeurs d'école les moyens d'agir localement en faveur de la réussite de leurs élèves. C'est une évidence que la France ne peut se passer de telles mesures si elle veut entrer de plain-pied dans une Europe renaissante. Il faut à notre pays des écoles autonomes et fortes, confortées dans des fonctionnements particuliers adaptés à leur public et leur territoire, dirigées par une direction d'école statutaire et reconnue. Les nations voisines de la nôtre ont des directeurs d'école dont nous n'avons pas à envier la compétence, car les directeurs d'école français prouvent la leur quotidiennement en dépit des obstacles mis en travers de leur mission. Il faut à la France des directeurs d'école reconnus juridiquement et administrativement, respectés, rémunérés à la hauteur des enjeux, autonomes dans leurs choix et leurs projets. Alors seulement l'école primaire publique française pourra reprendre dans le concert européen une place d'excellence que jamais notre pays n'aurait dû lui laisser perdre.

vendredi 17 mai 2013

Pour la FCPE, le directeur d'école n'existe pas...


Suite à mon précédent billet, dans lequel je dénonce la surenchère de luttes artificiellement exacerbées par divers médias aux objectifs douteux, qu'ils soient d'extrême-gauche ou de droite comme le Figaro -qui tape avec constance et allégresse sur le milieu enseignant qu'il déteste de façon infantile-, j'ai eu la curiosité de me pencher un peu sur la question des rapports entre les fédérations de parents d'élèves de l'enseignement public et les directeurs d'école.

En effet, les curieuses et maladroites offensives de la FCPE contre la direction d'école en général sont tout de même intrigantes, qu'il s'agisse du document honteusement détourné par les syndicats lors d'un CDEN, ou de la déclaration haineuse d'une responsable FCPE de Rennes.

Pour cette dernière déclaration, je ne relaterai que pour mémoire le titre enflammé du Figaro, qui ne couvre bien entendu aucune réalité, mais vise bien à monter une fois de plus les lecteurs contre l'école. Dois-je rappeler à des collègues directeurs que l'inscription à l'école est une prérogative des Maires? Bref, oublions.

En revanche, ces textes malheureusement à mon sens découvrent l'état d'esprit général de la FCPE pour ce qui concerne les directeurs d'école.

1) Déclaration en CDEN:

« (...) nous demandons la remise en cause du principe des 1/4 de décharges dans nos écoles. Deux arguments à cela :
− il est aberrant que de simples tâches administratives soient confiées à des personnels dont les compétences, le savoir-faire, la formation est d'enseigner ! C'est un gâchis de compétence incroyable.
− Ces 1/4 de décharges coûtent 286 ouvertures et non fermetures de classes. Cela influence donc fortement les moyennes par classe, et touche donc directement les élèves.Il est donc temps que cela soit remis en cause, et il suffit pour cela que ces tâches administratives soient confiées à des personnels de secrétariat et non à des enseignants dont le métier est d'enseigner. (...) »

2) Déclaration de Brigitte Compain, responsable FCPE à Rennes:

« Nous sommes étonnés par ces procédés et par ces plaintes peu compréhensibles. Quant à l'inflation de réunions, n'exagérons rien, observe-t-elle. La réalité, c'est que les enseignants rennais ne sont pas d'accord avec la réforme parce qu'ils vont devoir travailler le mercredi matin. »

 Analysons rapidement. Clairement pour la FCPE le directeur d'école n'existe pas, ou plutôt... il ne sert à rien! C'est un tâcheron dont les fonctions pourraient être avec bénéfice remplies par un simple secrétariat. Tâcheron qui d'ailleurs ne devrait pas se plaindre de voir enfler ses responsabilités et le nombre des réunions auxquelles il doit assister, car tout le monde sait bien qu'en fait il n'en fiche pas une rame.

Bien entendu, je ne me donnerai pas la peine de contrer ces déclarations ridicules, vous qui me lisez savez pertinemment que votre expertise non reconnue est primordiale pour le bon fonctionnement de l'école, et vous savez aussi le temps que vous y consacrez. Que la FCPE l'ignore à ce point est en revanche stupéfiant.

J'ai donc voulu creuser, et je suis allé chercher la profession de foi nationale de la FCPE, pour essayer de comprendre. Ce projet est frappant. La fédération réclame un "statut" pour les parents d'élèves, et ignore totalement les enseignants en général, et les directeurs d'école en particulier (cherchez donc les mots "directeur" ou "direction" dans le document). J'en suis resté baba! Réclamer une présente accrue et reconnue des familles à l'école et faire totalement abstraction des maîtres et maîtresses qui se dévouent quotidiennement pour leurs rejetons me laisse pantois. A la limite, dans cette optique, il est certain que la direction d'école est pour la FCPE un épiphénomène sans intérêt. Le projet de cette fédération de parents d'élèves est donc très clair: elle veut que les familles prennent le pouvoir à l'école, y fassent la pluie et le beau temps, au gré de leurs obsessions et du sens du vent. L'enseignant et le directeur d'école, eux, seront les bons, fidèles et corvéables employés des parents d'élèves. Stupéfiant! D'autant plus d'ailleurs que l'autre grande fédération de représentants de parents d'élèves, la PEEP, réclame quant à elle un statut pour les directeurs d'école! Ce ne sont plus deux poids deux mesures, ce sont d'un côté la bêtise et l'ignorance, de l'autre la conscience et la responsabilité.

Bref, je maintiens le propos de mon précédent billet: il vaut mieux ignorer ces imbécillités et ne pas s'y arrêter. Néanmoins, chers collègues directeurs d'école, vous saurez désormais ce que vos représentants de parents affiliés à la FCPE pensent de vous.

Je vais toutefois ajouter un petit conseil pour la FCPE: je dis souvent à mes élèves comme à d'autres qu'on ne peut respecter que ce qui est respectable. Si vous voulez être reconnus, commencez donc par reconnaître le travail et l'investissement des enseignants et des directeurs d'école. A ce moment là peut-être aurez-vous dans l'école la place qui devrait être la vôtre.

mercredi 15 mai 2013

Pour en finir avec les âneries...


J'ai été saisi par plusieurs collègues effarés de deux polémiques qui agitent en ce moment le Landerneau enseignant, soit un pseudo-témoignage haineux d'une soi-disant prof de français dans le secondaire qui attaque de façon minable ses parents d'élèves, et une fielleuse déclaration en CDEN (Conseil Départemental de l’Éducation Nationale) de la FCPE de Seine-et-Marne dans laquelle des représentants des familles envoient des scuds lamentables contre les enseignants et les directeurs d'école.

Je ne comptais pas m'exprimer sur ces deux sujets, considérant qu'il s'agit d'épiphénomènes qui ne méritent pas qu'on s'y arrête, la vindicte elle-même épuisant tout argument raisonné pour y répondre. Mais j'ai beaucoup de collègues qui s'excitent là-dessus, et qui estiment que je dois pour le moins en dire un mot. Soit. Mais ce mot ne sera pas forcément celui qu'ils attendent.

Déjà je m'étonne de la quasi simultanéité de ces sorties agressives, de plus dans un organe de presse (rue89, pour ne pas le citer) dont la ligne éditoriale étrange fait plus de part aux controverses douteuses qu'à la réflexion de fond. C'est hélas d'ailleurs ce qui caractérise notre information aujourd'hui, plus évènementielle que réflexive, rejetonne tarée du mariage contre-nature d'une presse aux abois et d'un internet qui n'existe que dans l'immédiateté. Je n'ai jamais cru au hasard ("Dieu ne joue pas aux dés", disait Einstein), et certainement pas dans le domaine éducatif qui me concerne au premier chef.

L'Éducation nationale, nous le savons, est mal en point. Elle est malade de sa propre histoire: la méthodologie de l'enseignement appliquée dans notre pays comme les structures du système éducatif français datent du XIXème siècle et ne correspondent plus du tout à une société comme à des élèves qui ont pour le moins franchement changé depuis 150 ans. L'irruption de l'informatique et d'internet ont d'ailleurs plus fait en vingt ans pour en souligner l'obsolescence que toutes les tentatives de réforme qui se sont accumulées et dont j'ai personnellement fait l'expérience depuis le début de ma carrière. Aujourd'hui la multiplicité des sources d'information, leur facilité d'accès, comme la façon d'apprendre, ne peuvent plus s'accommoder d'un enseignement vertical du maître à l'élève. Et la structure pyramidale du système éducatif français a elle aussi vécu. Il est donc nécessaire de changer les méthodes d'enseignement, et le fonctionnement de notre école.

Bien sûr, c'est compliqué, c'est difficile, et sera certainement douloureux pour nombre d'enseignants. Mais c'est indispensable. Aussi indispensable que comprendre qu'est également nécessaire une adaptation de notre système scolaire au plus près des besoins des élèves, des familles, et des territoires. Il est fini depuis belle lurette le temps où la France rurale s'accommodait d'un système centralisateur et jacobin dans lequel l’État tout puissant détenait la connaissance et la transmettait uniformément à toute la nation.

Qui ce constat gêne-t-il? Ceux qui croient détenir LA vérité et ne veulent surtout pas la partager, ceux qui ne tiennent leur force que d'une unanimité de façade dans le refus systématique de toute évolution, qu'ils soient individus -de préférence anonymes-, partis politiques ou syndicats. Je vise bien entendu une extrême-gauche qui n'a jamais vu son avenir que dans une étatisation forcenée, centralisatrice, égalitaire (et non équitable), et forcément disciplinaire: je ne veux voir qu'une tête, rien ne doit dépasser, je sais ce qui vous convient et que vous ignorez nécessairement...

La simultanéité de ces attaques que j'évoquais en début de billet ne doit donc selon moi rien au hasard. Il s'agit de ranimer des guerres scolaires absurdes et qui ne profiteront à personne, de monter tous les acteurs de l'école -familles, enseignants, directeurs...- les uns contre les autres, de diviser pour régner, afin d'étouffer dans l’œuf tout velléité de changement, toute tentative d'évolution, quelle que soit sa forme et de qui qu'elle provienne. C'est ainsi que depuis plusieurs mois on observe des tentatives pour monter l'école publique contre l'école privée, les parents contre les enseignants, les enseignants contre les municipalités, et tout le monde contre les directeurs d'école qui persistent à réclamer la reconnaissance de leurs compétences et de leur métier spécifique, et osent réclamer un statut différencié. C'est ce qu'on appelle proprement de l' "agit-prop" (agitation-propagande), vieille technique trotskyste qui a fait ses preuves tant les individus restent facilement influençables même à l'époque de l'internet.

Heureusement pour nous, les tenants de ces techniques n'ont plus le savoir-faire de leurs aînés dans la carrière. J'ai bien connu les années 70 et leur cortège de rassemblements, revendications, sit-in, manifestations, "luttes" diverses, qui ont amené toute une génération à lire le "Petit livre rouge", à arborer des casquettes Mao, et à admirer les pires et les plus sanglants dictateurs que cette terre ait portés. Les gauchistes d'aujourd'hui n'ont pas le dixième des compétences et du machiavélisme des discrets leaders de l'époque.

Il faut donc dénoncer toutes ces tentatives d'intimidation et de levée de conflit. Notre école mérite mieux que de s'arrêter à des humeurs supposées ou à des maladresses, voire à de honteux détournements pour ce qui concerne la déclaration FCPE en CDEN. Ce qui nous motive doit rester nos élèves si on est enseignant, nos enfants si on est parent. Et rien n'interdit d'être les deux. Croire qu'il est possible de réformer l'école pour la rendre efficace sans les uns ET les autres est un contresens.

Le mieux placé pour en convenir reste bien entendu le directeur d'école. Certes il a le cul entre deux chaises, mais c'est justement sa force dans un tel moment. Interlocutrice privilégiée des municipalités, des parents d'élèves, des enseignants, la direction d'école est la mieux à même de faire l'école française publique d'un siècle déjà bien entamé. Encore faut-il lui reconnaître ses compétences et sa place de choix. Encore faut-il simplement reconnaître les directeurs d'écoles, leur donner le statut qui est indispensable pour que les changements nécessaires soient effectifs et efficaces. Un directeur d'école reconnu, au statut administratif et juridique clair, au salaire décent, est le seul à même de faire progresser l'école, et personne d'autre! Alors que les Plans Éducatifs Territoriaux (PEDT) vont être élaborés, ce n'est même plus une chance à saisir pour l’Éducation nationale et pour la Nation en général, c'est la seule et unique opportunité qu'a notre pays d'enfin faire un succès d'une volonté de changement et de "refondation" que je crois réelle. Monsieur le Ministre, la balle est dans votre camp.

samedi 11 mai 2013

Martine directrice d'école (deuxième fournée)...


Allez hop, c'est reparti...













Frustration...


Le constat est général dans notre pays: l'école va mal. C'est du moins ce qui semble être le sentiment de la population, peut-être en partie créé par des médias en mal d'information juteuse et immédiate. Car ce constat est très relatif, puisque le niveau de qualification des français reste élevé. Leur niveau de compétence aussi: le français s'exporte bien, tant sa capacité de travail et surtout son efficacité sont importantes et reconnues dans les pays étrangers.

Alors pourquoi ce sentiment? Déjà en raison d'un auto-dénigrement systématique, mal national qui gangrène la Nation depuis très longtemps, mais qui nous a parfois permis également d'avancer. L'idée qu'une de nos institutions puisse fonctionner correctement nous est insupportable, nous sommes intimement persuadés que cela doit "cacher quelque chose". Surtout qu'il s'agit d'argent public, donc de nos impôts. Nous autres français estimons qu'en quelque sorte un service public nous appartient non pas collectivement, mais individuellement à chacun en partie. Ce qui nous autoriserait à le dénigrer systématiquement, ou du moins à attentivement en surveiller le fonctionnement, et à le critiquer si personnellement il ne nous convient pas, quand bien même il conviendrait parfaitement aux 99% du reste de la population. Disons-le: le français râle contre ses institutions, mais ne les braderait pas pour un empire. C'est notre faiblesse, c'est aussi notre richesse. Notre capacité d'invention est énorme, notre capacité de résilience aussi.

En revanche, nos capacités d'évolution sont sérieusement grippées. Nous pensons souvent -je parle bien de conscience collective- que mieux vaut un "machin" qui va brinquebalant que le changer ou le modifier d'une façon que nous percevons mal, ou qui nous inquiète. Le cri collectif "ça ne va pas!" sera vite remplacé par un hurlement unanime "on ne touche à rien!" si un politique quelconque s'avise de vouloir légèrement bousculer la bête. Nous sommes des dinosaures, fiers de nos institutions sclérosées. Personne d'autre que nous n'a le droit de les déprécier. Quitte à nous enliser dans des bitumes nauséabonds, ce que nous ferons avec fatalisme... et optimisme! Car notre croyance en notre génie national est immense.

C'est évidemment flagrant avec l'école. Nous avons tous en tête une classe de têtes blondes et de nattes, de jupes et de shorts, avec sur son estrade un instituteur en blouse grise, la craie à la main. C'est Pagnol qui imprègne notre mémoire collective, les cartes Vidal-Lablache, les marronniers dans la cour, les coups de règle sur les doigts et les leçons récitées à la mère... Il ne faut pas mésestimer la force de cette image, elle est fondatrice de notre volonté de faire perdurer l'école de la République, tout en étant un frein majeur à l'évolution de notre institution scolaire. Le "c'était mieux avant" ne permet pas d'avancer.

C'est très frustrant.

Aujourd'hui la plupart des personnes que je rencontre et qui connaissent un tant soit peu l'école sont d'accord pour dire qu'elle a un énorme problème de gouvernance. Ou de pilotage, si vous préférez ce terme. Bref, de direction. Les familles se plaignent de ne pas avoir en face d'elles un directeur d'école responsable et autonome dans ses projets, et sont surprises lorsqu'elles apprennent que les directeurs d'école ne sont pas les supérieurs hiérarchiques des enseignants. Les associations de parents d'élèves font le même constat et s'en plaignent aussi, qui réclament une direction d'école autonome et responsabilisée -ce que vient de réaffirmer d'ailleurs la PEEP lors de son dernier congrès, réclamant un statut pour les directeurs d'école (la FCPE, fortement politisée et proche des syndicats gauchistes, s'en fout totalement)-. La pyramide de l’Éducation nationale se plaint que ses directives soient au mieux mal appliquées, au pire ignorées, parce que les directeurs d'école n'ont aucun pouvoir et les IEN une audience nulle. Notons d'ailleurs que cette pyramide ignore en partie ou totalement le fonctionnement de l'école primaire, les hauts fonctionnaires parisiens du ministère croyant que toutes les écoles françaises fonctionnent sur le modèle parisien, qu'ils ne côtoient d'ailleurs que très peu car ils préfèrent mettre leurs propres enfants "à l'abri" dans des écoles privées mieux fréquentées et fréquentables, ne retrouvant l'école publique que pour envoyer leurs adolescents dans les meilleurs lycées. Ces hauts fonctionnaires ignorants sont très étonnés quand on leur apprend que les directeurs d'école de province ont charge de classe et n'ont pas de secrétariat. Pas la peine d'ailleurs d'aller si loin, la plupart des DASEN et des Recteurs l'ignorent tout autant.

Même nos députés trouvent la situation anormale. Il ne passe pas une semaine sans qu'un de ceux-ci interpelle notre actuel ministre au sujet des directeurs d'école, demandant ce statut clair et différencié que j'appelle tant de mes vœux. Évoquerai-je les élus locaux? Les Maires des communes françaises comme leurs secrétaires généraux, dont beaucoup sont regroupés au sein de l'ANDEV, réclament également à cor et à cri que les directeurs d'école qui leur sont familiers, et avec lesquels ils travaillent souvent en étroite collaboration, deviennent enfin des interlocuteurs responsables, formés, autonomes.

Bref, tout le monde est d'accord: il faut pour les directeurs d'école un statut clair et différencié, de l'autonomie, un salaire digne, des responsabilités affirmées, une reconnaissance administrative et juridique. Ce qu'ils n'ont aucunement aujourd'hui.

Alors mon prince, c'est où-t-y qu'ça coince?

On m'avance souvent un argument budgétaire: l’État n'aurait plus de sous. Je vais me répéter, mais c'est là un argument fallacieux. L'éducation est un investissement, non une dépense. Toutes les nations le savent, et vouloir faire croire le contraire comme le faisait notre précédent gouvernement est un mensonge grave, de ceux qui précipitent un pays dans la misère ou la sujétion. De plus, parmi les mesures représentatives d'un statut pour les directeurs d'école, la plupart ne coûtent rien, sinon de la volonté politique, et le courage d'affronter les syndicats d'extrême-gauche français qui à défaut de représentativité et d'intelligence ont conservé une certaine capacité de nuisance, et celle particulièrement de foutre la trouille à nos politiques qui font pipi dans leur culotte dès que quelqu'un lève un doigt ou exhale une flatulence. Pour le reste des sous nécessaires, il serait facile d'en récupérer une certaine quantité en virant de nombreux hauts fonctionnaires à l'inutilité notoire, et en supprimant comme je l'ai déjà dit les deux étages superfétatoires de la pyramide ministérielle que sont les DASEN qui ne servent à rien, et les IEN qui ne servent pas à grand chose et n'auraient plus aucune utilité avec des directeurs d'école statutaires et autonomes. Les conseillers pédagogiques de ces mêmes IEN pourraient avec profit pour eux comme pour nous être reconvertis dans la formation professionnelle et continue, et dans la diffusion des pratiques efficaces et innovantes.

D'où ma frustration. Tout le monde est d'accord, mais rien ne bouge. Si la frustration est un puissant moteur d'évolution de l'individu, et même un des principaux en ce qui concerne celui de la conscience sociétale -vous pouvez en croire l'enseignant de maternelle que je suis-, elle n'est pas moins fort désagréable à vivre quand vous savez si simple la résolution du problème qui vous turlupine. Certes, je suis intimement convaincu que nous sommes très proches de la délivrance d'un statut pour la direction d'école primaire publique en France, certes je suis persuadé que jamais depuis quinze ans nous n'avons été si près de l'obtenir. Mais il me reste néanmoins un sentiment diffus d'inachevé quand quotidiennement je suis confronté aux difficultés et aux limites actuelles de ma mission de directeur. Je ne peux guère voir dans les freins encore en place que l'absence de volonté politique, ou de courage politique ce qui revient au même. En résumé, la trouille. Ce qui est un comble quand pour être élu un politique raconte partout qu'il veut "changer la société" ou "refonder l'école"... C'est bien la chocotte qu'avait le précédent ministre qui l'a empêché de nous donner ce satané statut, alors qu'il avait pourtant bien en main toutes les données du problème.

Bon, alors, ces "discussions imminentes" avec le ministère et la DGESCO, c'est pour quand?

dimanche 5 mai 2013

Le dirlo, super maso?


Sur la page Facebook du GDiD, un ancien collègue du primaire aujourd'hui en EGPA fait dans un commentaire récent la réflexion suivante "là franchement à moins d'être super maso je vois pas pourquoi les postes de direction sont encore demandés".

Voilà bien une question existentielle que je me pose également. Moi-même, que fais-je encore dans cette fonction déconsidérée, mal payée, et corvéable à merci? Comment cela se fait-ce?

Effectivement et objectivement, si on regarde les avantages de la mission de direction d'école, la liste est vite faite, et se résume concrètement à un seul et unique item: l'indemnité accordée aux directeurs d'école. Le reste est, en 2013, à porter dans la colonne des inconvénients. Du coup, je me torture l'esprit depuis hier en me demandant si je suis ou non "super maso".


D'autant que ce seul et ultime avantage n'est pas franchement brillant. J'avais déjà évoqué dans un précédent billet le montant de l'indemnité accordée chichement aux directeurs d'école. Je vous donne de nouveau le tableau qui en précise le montant, différent selon la taille de l'école administrée (cliquez dessus pour l'agrandir).


Personnellement, dans ma petite école, je touche mensuellement en plus de mon salaire d'enseignant une bonification salariale de 111 € et une indemnité de 133 €, soit 244 €. Ce n'est certes pas rien si on se réfère au montant du SMIC (dont on ne peut pas dire qu'il soit pour vivre particulièrement jouissif), mais c'est ridicule au regard du travail effectué, du temps que je dois lui accorder en plus de celui consacré à mes élèves, et des responsabilités qui sont les miennes.

Mais ma paye d'instit' -pardon, de professeur des écoles- s'apparentant de plus en plus à une aumône à mesure que les années passent, j'aurais je l'avoue bien du mal à me passer de ce complément de salaire, combien faible soit-il. Enseigner est un travail de spécialiste, qui demande chaque jour une longue préparation. Alors n'être rémunéré comme moi, après trente-cinq ans de service, qu'à la hauteur de 2200 € par mois pour l'exercer me parait franchement méprisant. C'est faire bien peu de cas d'une mission si importante pour une nation. Aujourd'hui les enseignants du primaire en France sont parmi les plus mal payés de tous les pays de l'OCDE, et le blocage du point d'indice de la fonction publique depuis plusieurs années, que je peux comprendre mais qui passe difficilement, n'arrange pas les choses.

"Changez de métier!", me direz-vous. A mon âge et après trente-cinq années de carrière au service de mes élèves, je n'en ai certainement pas l'énergie. "Allez enseigner dans le secondaire!". Je n'ai pas les titres nécessaires, ni je pense aujourd'hui les compétences disciplinaires, à part peut-être en français. "Devenez principal de collège!". Effectivement, je pourrais me présenter au concours interne de l’Éducation nationale qui me permettrait de postuler à cette mission. Mais... j'aime l'école primaire! Et plus encore en son sein l'école maternelle, dans laquelle je travaille depuis plusieurs décennies, et qui m'apporte encore quotidiennement quelques joies et plaisirs. Que voulez-vous, quand on aime travailler avec des enfants de quatre ou cinq ans, quand on aime leur apporter connaissances et compétences, il est difficile de s'imaginer administrant un collège.

Je l'avoue donc: j'aime mon métier. J'aime lire émerveillement que je lis dans les yeux d'un enfant lorsqu'après des semaines de travail il se découvre une compétence qu'il s'ignorait. J'aime son bonheur de se voir complimenté pour un travail dans lequel il s'est particulièrement impliqué. C'est comme ça, je marche encore après toutes ces années.

Si ce seul item salarial est l'ultime avantage de la fonction de directeur d'école, pourquoi donc continuai-je à la remplir? Nombreux sont les directeurs qui ont craqué ces dernières années, et sont retournés vers leur mission d'enseignant, ou pire ont démissionné, ou sont hélas passés à l'acte. Nombreux encore sont ceux qui vont le faire cette année, et tout aussi nombreux ceux qui pourraient décider de s'y investir au plus grand profit de l'école publique, et ne le feront pas. "Pas fou, non?" Voilà une mission de direction, pourtant si importante voire primordiale, délaissée par ceux qui pourraient tant lui apporter, méprisée par son administration, écrasée par des tâches multiples et souvent inutiles, submergée de responsabilités, déconsidérée au sein de la profession elle-même comme au sein du public, pour lequel les directeurs d'école participent de la fainéantise supposée des fonctionnaires en général considérés comme des profiteurs -deux reproches attisés par des médias dont on se demande bien ce qu'ils connaissent des charges effarantes de ce travail comme de ses conditions déplorables-.

Curieusement, localement, dans ma commune d'exercice, je sens chez les familles comme chez les élus un respect important de l'école, aussi bien comme institution que comme lieu de vie pour leurs enfants. Je sens beaucoup d'attente, que nous tâchons quotidiennement de ne pas décevoir. Je sens un grand respect pour notre métier et une réelle considération pour nos compétences, une vraie et franche confiance. Je sens un profond respect pour ma fonction de directeur d'école comme pour les responsabilités qui y sont attachées. Voilà aussi ce qui participe à ma volonté de continuer à exercer mes fonctions et à assumer mes responsabilités, certainement l'impression mais aussi la conscience de mon utilité. Je pense que mes collègues directeurs et directrices d'école sont dans le même cas que moi: nous persistons parce que nous savons que notre mission de direction d'école publique est importante, pour nos familles, nos municipalités, pour la Nation. En dépit de tous les obstacles qui depuis des lustres se sont accumulés sur notre route.

C'est pour cela que je milite afin d'obtenir pour les directeurs d'école un statut clair et différencié, autonome, responsabilisé, reconnu administrativement et juridiquement, rémunérateur. Parce que les directeurs d'école, derniers représentants de l’État dans les communes de France, exercent un métier particulier, ils ont une mission primordiale pour la réussite des élèves, mission qu'actuellement ils n'ont pas les moyens ni le temps de remplir efficacement. L'éducation est un investissement pour la Nation, je dis et le redis, le répète constamment, parce que c'est une réalité incontournable.

Alors non, je ne suis pas "super maso". L'image que je me fais de mon travail et de ma mission vaut largement pour moi que je continue de m'y investir profondément, quels qu'en soient les inconvénients présents. Mais je ne sais pas si j'irai jusqu'au sacrifice.

mercredi 1 mai 2013

Primordial mais incompris...


Je viens de découvrir avec plaisir et intérêt une thèse de doctorat en Sciences de l’Éducation, soutenue en 2012 par Mme Christine Descaves-Burgevin, consacrée à la direction d'école dans le premier degré. C'est un sujet rarement exploité, et cet excellent travail ne doit pas rester ignoré des professionnels que nous sommes.

Cette thèse est plus précisément attachée à la question suivante: la direction d'école dans le premier degré est-elle une «affaire d'hommes»? Autrement dit, les hommes sont-ils sur-représentés dans la direction d'école par rapport à leurs collègues femmes?

La question m'intéresse évidemment, d'autant que je suis effaré par le manque criant de parité dans une profession enseignante dont plus de 80% des acteurs sont des femmes, proportion particulièrement frappante dans le primaire, et plus encore en maternelle où je suis moi-même directeur, singleton égaré dans les jupes d'une école de la petite enfance qui dans notre pays porte encore malheureusement le nom de "maternelle"... Vous vous doutez bien que je préfèrerais clairement un nom plus juste comme par exemple celui de "première école", qui me semble plus adapté à la réalité du travail que nous y effectuons.

Néanmoins, ce n'est pas le sujet principal de la thèse qui m'a le plus intéressé, mais celui transversal des enquêtes sur le métier de directeur d'école que la recherche impliquait. De ce point de vue, cette thèse est fort riche, et la lire en diagonale est fort enrichissante. C'est pourquoi j'en recommande encore une fois chaudement la lecture.

Quelques phrases en exergue de la thèse sont particulièrement frappantes et illustrent nettement notre mission:

« Une chose écartelée entre un Inspecteur, un Maire, des collègues, des parents, une classe... » (Directrice d’école, juin 2010)

« Primordial mais incompris » (Directeur d’école, juin 2010)

« Le couteau suisse de l'école (pédagogue, enseignant, animateur, psychologue, concierge, infirmier, secrétaire, négociateur, agent technique, suivi des élèves, partenaire mairie, dernier maillon institutionnel, représentant de l'institution » (Directrice d’école, juin 2010)

« Capitaine d’un navire à la dérive dans un champ de mine avec des icebergs. Le plancher de mon navire est bondé et je dois assurer toutes les manœuvres seul. Je dois également courir de la proue à la poupe et de bâbord à tribord pour réparer les avaries » (Directeur d’école, juin 2010)

« Poisson-pilote » (Directeur d’école, juin 2010)

« Buvard – tampon – soutien - garde-fou - entre 2 chaises. » (Directeur d’école, juin 2010)

N'est-ce pas juste? De nombreux éléments de cette thèse sont passionnants de vérité. Sur les rapports avec les IEN, par exemple:

« Ca détruit pas mal, ça détruit pas mal parce que c'est vraiment vexatoire, c'est humiliant, et puis alors ça m'a fait perdre énormément confiance, énormément parce que j'avais l'impression d'avoir travaillé pour rien, et puis j'ai eu alors la chance, quelque temps après, d'avoir une nouvelle inspectrice qui a été quelqu'un de, je pense très humain et qui, bon je suis allée la voir, je lui ai dit « Je pense que vous êtes au courant du dossier, vous savez ce qu'on dit de moi » et sa réponse a été « Ah non, j'ai pas lu votre dossier et puis alors je m'en fous complètement » ... [Sylviane]

« On reconnaît jamais le travail qui est fait, euh, c'est-à-dire que, pas une seule fois, pas une seule fois dans toute ma carrière, enfin je parle de ma hiérarchie, là, pas une seule fois dans ma carrière, on m’a dit : « c’est bien ». ... Ben, je veux dire, j’ai été inspecté comme tout le monde, mais pas une seule fois, on m’a dit : « c’est bien continuez », c’est plus des rapports : « ben là vous avez pas fait ci, là vous avez pas fait ça, là vous n’auriez pas dû faire comme ça », bon et ça, enfin, j’sais pas, y a eu des bons moments, des parents qui sont venus nous dire : « c’est super », mais ... non c’est la hiérarchie qui me pose problème, c’est plus des problèmes à ce niveau-là. » [Gérard]

« Moi, en tant que directrice j’ai failli, j’ai été agressée l’année dernière et euh j’ai été insultée euh et euh, j’ai failli j’ai failli tomber par terre, j’ai failli en arriver aux mains dans le sens où la personne a failli me gifler, j’ai vu passer la main à quelques centimètres, j’ai été très mal, surtout j’ai pas été soutenue par ma hiérarchie qui m’a laissée lâchement gérer la chose. » [Laurence]

Sur les rapports avec les municipalités:

« Le fait aussi de pas demander des choses, quoi, dans nos demandes, on est parfaitement, raisonnable, et puis c’est vrai qu’il y a toujours eu un bon rapport, bon, quand on agresse les gens, les représentants de la municipalité en conseil d’école, après on peut pas leur demander ... Je préviens toujours s’il y a un point sensible, je préviens la municipalité, je leur dis : « attention, on va aborder ça … » Au moins, ils peuvent se préparer psychologiquement, quoi, c’est important quand même. » [Gérard]

« On a en général ce que l'on demande, bon pas forcément dans l'immédiat mais on finit toujours par obtenir ce qu'on a demandé [...] Finalement euh on est un peu d’égal à égal, quoi, eux ont la responsabilité de faire fonctionner leur commune et leur école, quelque part, c’est quand même leur école, et nous, on a la responsabilité de faire fonctionner notre école, [...] franchement, là, on sent qu’on a des rapports d’égal à égal et euh ils tiennent compte de ce qu’on dit, nous sommes conviées pour tous les sujets qui touchent à l’école [...] non y a pas de rapport, enfin, qui pourraient exister peut-être si c’était homme/homme, tu vois ou, maire/directeur, tu vois, on n’a pas du tout ce rapport de force, non franchement ça se passe bien. » [Florence]

Avec les adjoints:

« J’ai été adjoint avant, j’ai été 3 ans adjoint ici avant, ou 2 ans j’sais plus et dès que j’ai eu la fonction, eh ben là, ils ont commencé à me tester, dans leur comportement, j’arrive le matin, on me dit bonjour, quand c’est le jeudi, le jour de ma décharge : « Ah t’as vu, y a ça, y a ça … », ils ne me disent même pas bonjour, ils me balancent tous les problèmes, par exemple, ce matin, ils m’ont dit : « Y a ça et ça et ça à faire dans le bureau », voilà, au cas où j’aurais rien à foutre dans le bureau, entre guillemets, quoi. » [Pierre]

« Je ne me sens pas au-dessus mais, de fait, c'est, ce sont les adjointes qui ont tendance à nous considérer comme à part. Moi, c'est un peu le sentiment, on ne fait plus tout à fait partie de, l'impression de ne plus de faire tout à fait partie de l'équipe. » [Pascale]

« Quand je suis arrivée à l'école, il n'y avait pas de conseils de cycle, c'est quand même obligatoire depuis 1990 quand même, pas de conseils de cycle, pas de travail d'équipe, pas de programmation ... ben on arrive avec ses gros sabots, on prend un calendrier, les conseils de cycle, on va faire ça, machin, j'ai participé à tous les conseils de cycle, cycle 2, cycle 3, ... ah ben , « fais les comptes-rendus, fais les ... ». Alors évidemment, ça coince, donc, moi je pense aussi, ça a été des heurts de caractères, parce que moi je demandais à ce que ce soit fait, on respecte les textes mais c'est aussi ce qu'on me demande, ce n'est pas de la servilité mais je pense que c'est important de le faire. » [Pascale]

Avec les adjoints ou le personnel en général:

« ce qui est le plus difficile, c'est pas la paperasse, ça c'est rien, c'est gérer l'humain, c’est-à-dire le contact entre les personnes, les humeurs des uns et des autres, que ce soit les ATSEM, je ne parle pas des enfants, hein, des grandes personnes, des adultes, c'est gérer l'humain le plus difficile, pour moi je trouve que c'est gérer l'humain. » [Ghislaine]

Avec les familles:

« Un enseignant avec un parent, ils en sont presque venus aux mains... un parent d'élève qui arrive en furie parce qu'il s'est engueulé avec une instit’ qui arrive en furie derrière… » [Agnès]

« On est là aussi pour soutenir une collègue qui s'est fait agresser verbalement et on essaie de dédramatiser les choses, c'est pas toujours agréable non plus, euh même si la collègue a fait une boulette on essaye de rester neutre et sans dire aux parents que la collègue a fait une boulette. » [Ghislaine]

Sur la paperasserie et l'informatique:

« Et tout ça, ça prend du temps et puis, y a de plus en plus de temps à passer à ça, à ... les dossiers, les enfants en difficulté, bon avant ça se gérait relativement facilement, maintenant c’est des dossiers de 4/5 pages, on demande 3/4 fois les mêmes dossiers, euh, à croire qu’ils en font des avions. » [Jean-Pierre]

« Quand je suis arrivé, [ouvre des placards et des tiroirs] voilà ce qu’il y avait comme paperasse entre 75 et 2000, et depuis que je suis arrivé… [il nous montre]
- Oui, effectivement ! - Bon, ça vous donne un ordre d’idées, de ce que sont devenues les paperasseries.
- D’accord, donc ça a pratiquement doublé, quoi ? !
- Plus ! Maintenant pour tout, il faut faire des dossiers. » [Jean-Pierre]

« Ce qui me plaît le moins c'est la paperasserie mais elle est, elle est malheureusement indispensable et ça va pas en s'arrangeant, on pensait qu'avec l'informatique, ça supprimerait un certain nombre de tâches, il y a plein de domaines où ça double les tâches, en fait. » [Christian]

Sur le temps consacré à la direction d'école:

« L’inconvénient, c’est qu’on a une somme de travail formidable, enfin, moi, le mercredi, j’reviens, le dimanche matin, j’reviens. » [Dominique]

« Mes sept premières années, je suis venu travailler tous les mercredis matins et tous les dimanches matins, parce que j'étais tellement empoisonné avec le téléphone, les gens qui rentrent, qui sortent etc., qu'il y a des jours où je faisais rien de ce que j'avais prévu de faire donc, et ben le dimanche matin, le téléphone ne sonnait pas, bon, je suis plus rôdé, je vais beaucoup plus vite et puis, cette année, j'ai décidé que, sauf cas de force majeure, je ne viendrai plus le dimanche matin [rire]. » [Christian]

« C’est du 6h30 le matin à minuit, je m’assois une demi-heure, quoi, c’est infernal [...] j’habite sur le lieu, oui, pratiquement, je suis à 50 m de l’école, donc le soir, je reviens à l’école, pratiquement tous les jours, après le repas, je suis là souvent le dimanche après-midi. » [Caroline]

La classe... ou la direction?

« C’est vrai que, moi, je donne priorité à ma classe [...] On ne peut pas non plus pénaliser les enfants, c’est pas possible, on est directeur, d’accord, mais on est d’abord enseignant avec les enfants, pour moi, c’est primordial. » [Monique]

« C’est la priorité, moi, c’est ma classe. Donc, quoi qu’il arrive, la direction, moi, ça passera plus tard, quitte à revenir pendant les vacances, pendant les week end. C’est d’abord, mes CM2, si j’ai un point à atteindre, c’est les emmener à un certain niveau, voire un niveau certain en 6°, c’est la priorité, donc c’est d’abord eux, donc je fais mes progressions hebdomadaires, mensuelles, tout ça et mon cahier journal, tout ça, c’est eux d’abord, après c’est le bureau, là j’ai un tas, après quoi. » [Pierre]

« Donc c’est vrai que, parfois, c’est difficile, on ne devrait plus avoir sa classe à un certain stade, c’est vraiment lourd, parce que dans notre fonction de directeur, on doit être disponible, le directeur doit être disponible. » [Ghislaine]

« Et on est frustré, j’ai l’impression de laisser ma classe, de ne pas faire mon travail pédagogique, parce qu’on fait de l’administratif, non c’est vraiment un métier ingrat, la direction d’école. » [Caroline]

« J’aurais une décharge complète, bon je sais pas, je veux dire avec des interventions auprès des enfants, ça encore, ça irait, mais pas d’enfants du tout, je pense que j’aurais du mal, j’apprécie le lundi, pour faire mon travail tranquillement mais j’ai besoin des enfants, encore beaucoup, je suis encore en plein dedans, là, malgré la fatigue quand même, je m’en rends compte là, passé 50, c’est difficile, voilà. » [Agnès]

« Je trouve que ça commence à suffire, là, par exemple, on a fait des concertations mais ça n’arrête pas, c’est le soir et il faut que je fasse les compte rendu, bon, il me manque du temps, j’ai pas suffisamment de temps... donc c’est bien d’avoir toujours sa classe, ça te permet d’avoir une bonne idée de ce qu’est la réalité, t’es toujours bien dans la réalité, t’es toujours bien dedans, mais euh ... un peu plus de temps. » [Didier]

J'espère que ces courts extraits d'une thèse de 450 pages vous auront suffisamment donné envie de la lire, ou au moins de la parcourir. C'est une mine d'informations et de témoignages. Et bien entendu, c'est aussi une accumulation de preuves que notre situation ne peut plus durer. Les directeurs d'école exercent un métier particulier, je ne l'exprimerai jamais assez, il est largement temps qu'on en tienne compte, pour le bien de nos élèves et pour la pérennité de l'école publique.