dimanche 15 février 2015

Agonie...

Est-ce que je me suis trompé? Cette question, je me la pose quotidiennement, pour chaque activité que je propose à mes élèves; je crois sincèrement que dans ma pratique de classe c'est une étape indispensable que je dois aux enfants dont j'ai la charge. Je ne veux qu'une chose, leur réussite, sans non plus les laisser en déshérence. Bien entendu, après toutes ces années, il est rare que je me réponde positivement, mais... oui, cela m'arrive encore, d'avoir "tapé trop haut".

Pour ce qui concerne les opinions que j'exprime sur ce blog, parfois aussi je me pose la question de leur pertinence. Je ne crois pas jusqu'à présent m'être vraiment fourvoyé. Mais il est vrai que nombre de mes billets restent forcément subjectifs, et ne peuvent être confirmés ou infirmés qu'après quelques mois ou quelques années. Ainsi en est-il de la règle du jeu. Ce qui ne m'interdit pas de veiller à une certaine honnêteté intellectuelle: si sur un blog comme le mien le temps est distendu et les billets vieux de plus d'un an semblent dater de plus d'un siècle, ce n'est pas le cas pour le cheminement de ma pensée dont il est à mes yeux primordial de conserver bonne foi et objectivité.

Voilà donc que se pose à moi la question des "nouveaux rythmes scolaires", et de ce que j'ai pu en écrire ici. En effet la Direction académique de mon lieu de travail veut faire un bilan de leur application dans mon département. Le directeur que je suis -encore, mais pas forcément pour longtemps vue la chienlit ambiante- a reçu une adresse internet pour répondre à un long questionnaire, litanie pénible avec quelques bonnes questions noyées dans une kyrielle d'interrogations idiotes, inadaptées ou dont la réponse est déjà connue (à condition de la chercher dans la paperasse, ce que manifestement ma hiérarchie se refuse de faire, après tout les dirlos sont corvéables à merci et -c'est bien connu- n'ont que ça à faire). La municipalité a également reçu de son côté un autre questionnaire qui les enquiquine tout autant que moi, surtout prévenus la veille pour le lendemain ou quasiment. Décidément, le temps de l'administration de l’Éducation nationale n'est vraiment ni celui de l'école, ni celui des communes.

Il y a trois parties dans ce questionnaire informatisé qu'on ne peut remplir que d'une seule volée (ce qui n'est pas fonctionnel ni pratique, mais les mots "pratique" et "administration" sont antinomiques), une pour le ressenti des enseignants, une pour les parents d'élèves, et une dernière pour le DDEN.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, brave directeur d'école imbécile que je suis et fonctionnaire dans l'âme, j'ai pondu un questionnaire anonyme pour mes familles auquel elles étaient libres de répondre ou non. J'en ai écarté tout ce qui n'était pas pertinent pour ne conserver que la substantifique moelle, c'est à dire pas grand chose mais suffisamment pour répondre à deux questions essentielles:
1) Est-ce que les nouveaux rythmes scolaires c'est bien ou c'est caca pour vos enfants qui fréquentent avec bonheur l'école maternelle dont je suis le directeur?
2) Est-ce que les Nouvelles Activités Pédagogiques sont bien fichues ou le bébé est-il trop moche?

Après consultation des collègues et 50% de réponses familiales motivées, j'en arrive à la conclusion simple et sans appel suivante: les NAP organisées dans ma commune d'exercice sont plébiscitées et les "nouveaux rythmes scolaires" décriés, dépréciés, critiqués. Cela ne fonctionne pas dans ma petite école maternelle. Les enfants sont plus fatigués, les apprentissages n'avancent pas mieux ni plus vite... voire pire! Si j'ajoute que l'équipe enseignante est épuisée, est démotivée et n'a plus de jus -et le dirlo non plus-, je ne peux que conclure que malgré deux années de préparation, d'aménagements, de concessions et d'efforts incontestables de la part de tous, c'est un pur et simple fiasco.

La principale raison pour moi en est fort claire: ces rythmes n'ont absolument pas été pensés pour des enfants entre trois et six ans. Je l'ai déjà écrit sur ce blog, pour les politiques et l'administration "l'enfant" tel qu'ils le conçoivent est un idéal qui a dix ans, un élève de CM2 déjà dégourdi et adaptable. La petite enfance n'existe pas, ce que peut être ou faire ou supporter ou non un enfant plus jeune est totalement en dehors de leur connaissance, de leur compréhension et de leur entendement. Ces gens là perçoivent les enfants comme on les concevait dans le haut Moyen-âge, inexistants avant sept ans et ensuite des adultes en miniature.


Ils ont donc voulu décalquer leur vision archaïque à toute l'école sans se poser la question de sa pertinence, suivant malencontreusement les idées prétendues généreuses d'un certain nombre de soi-disant penseurs tous âgés de plus de soixante-cinq ans et qui n'ont pas vu d'enfant depuis plusieurs décennies, quant bien même ils en auraient aperçu l'ombre d'un dans leur lointaine jeunesse.

Ces rythmes scolaires, donc le raccourcissement de la journée de trois quarts d'heure ainsi que l'ajout du mercredi matin, ne conviennent pas à l'école maternelle. Du moins à la mienne. Mais ce que j'entends de droite et de gauche me conforte dans l'idée que c'est un sentiment généralisé dans le pays. Dans mon école les NAP durent cinquante minutes chaque fin d'après-midi, ce qui fait que les 80% d'enfants qui les fréquentent ont en fait, entre école et NAP, une journée d'activités collectives encadrées plus longue qu'avant la réforme, et viennent le mercredi matin en sus. Tous les questionnaires que les familles de mon école m'ont retournés soulignaient la fatigue accrue le soir, les enfants qui s'endorment le nez dans l'assiette, l'épuisement du vendredi. J'ai moi-même constaté une sensibilité accrue aux affections virales, une moindre résistance de mes élèves et donc un accroissement de l'absentéisme dû à la maladie. N'était-il pas question d'alléger la semaine des élèves? De favoriser les apprentissages? C'est raté. Je n'avais jamais comme cette année été obligé d'allonger les temps d'apprentissage pour certaines compétences tant j'ai d'élèves absents pour lesquels je dois adapter la progressivité de mon travail. Ce ne sont plus trois ou quatre ateliers que j'ai en lecture, en maths, en graphisme/écriture, c'est cinq, six, huit... De plus à mon grand dam certaines activités périscolaires commencent à furieusement ressembler à des activités scolaires, les compétences pédagogiques et didactiques en moins. Et puis clairement personne n'a non plus pensé à tout ce que ça impliquait pour les enseignants: déplacements supplémentaires -et frais conséquents- le mercredi matin (j'ai une petite adjointe qui fait courageusement 180 km aller-retour de chez elle à l'école), gardes d'enfants supplémentaires - et frais conséquents- pour les collègues parents de jeunes enfants, fatigue supplémentaire -mais qui pourra quantifier cela, alors que le métier d'enseignant est le seul qui ignore encore en 2015 ce qu'est la médecine du travail? Encore un scandale du mutisme syndical, ça!-, déplacements des formations au mercredi après-midi, etc... La liste est longue. Vous voulez attirer du monde avec ça pour faire ce métier qui est devenu un métier de merde? Un métier qu'on ne fait plus que par défaut, faute d'avoir pu faire autre chose, qui dans certaines académies commence à être confié à n'importe qui que même ainsi il devient impossible de recruter tant les conditions de travail sont absurdes. Au rythme où ça va dans dix ans les municipalités embaucheront elles-mêmes les enseignants du primaire tant ils deviennent difficiles à trouver. Bordel, vivement la retraite! Je vais finir, après trente-cinq ans d'abnégation, à conchier cette mission indispensable qui est devenue le pire boulot de France.

Je suis fort marri, parce que j'ai soutenu cette réforme. D'abord par principe, pour soutenir les efforts de rénovation de l'école. Ensuite parce que l'idée de bosser le mercredi matin me plaisait bien.

Est-ce que je me suis planté?

J'ai relu avec attention tout ce que j'avais écrit ici-même sur le sujet, et j'ai constaté avec plaisir mais aussi avec tristesse que je soulignais d'emblée les oublis du système -les enseignants, la singularité des rythmes de la petite enfance...-, ses perversités comme la tendance à la "municipalisation" de certains enseignements, son coût effarant pour les collectivités et conséquemment les différences territoriales inéquitables et inégalitaires, etc...

Il aurait évidemment fallu, je l'avais écrit aussi, commencer par le travail de fond sur les programmes que le CSP est en train de faire avec bonheur, mais qu'il n'a pu débuter qu'avec deux années de retard. Puis dans la foulée introduire une réforme des temps scolaires en élémentaire qui alors eut été logique. Et certainement exclure du dispositif l'école maternelle, laquelle a toujours été attentive et a toujours organisé son travail en fonction des rythmes de la petite enfance. Cela, je l'admets, je ne l'avais pas vu, et j'ai eu tort. Ce qui est fait est fait. Il n'est néanmoins jamais trop tard pour reconnaître une erreur et revenir sur des décisions antérieures catastrophiques.

Et puis il faudra tout de même un jour se poser la question des enseignants du primaire, ce que refusent de faire les gouvernements successifs depuis vingt-cinq ans: salaires minables pour un recrutement à ne niveau de compétences, conditions de travail effarantes, mépris généralisé pour la mission savamment entretenu pendant quinze ans par les politiques et les médias qui n'ont pas compris à quel point ils jouaient avec le feu...

Comme il faudra se poser franchement la question de la gouvernance des écoles. Le seul rempart envisageable aujourd'hui contre une municipalisation rampante des enseignements ou de certains enseignements reste la responsabilisation des directeurs d'école dans le leadership pédagogique, organisationnel et matériel des écoles primaires. La reconnaissance du rôle des directeurs d'école est en chemin avec la parution du référentiel-métier qui définit clairement la direction d'une école comme un métier spécifique, qui bientôt devrait être autrement distingué par la création d'un grade à accès fonctionnel tout aussi spécifique. Mais qui sera élu? L'urgence est aujourd'hui de rendre tous les directeurs autonomes et responsables aux yeux de tous, familles évidemment mais c'est certainement déjà le cas, mais surtout municipalités et institution. Le directeur d'école, dernier agent de l’État présent dans les communes françaises, doit être conforté dans son rôle de garant du rôle de la Nation dans la construction intellectuelle de ses enfants et dans l'équité promise à chacun d'entre eux. Oui, cela aura certainement un prix. Peut-être est-il nécessaire de penser alors à la répartition des moyens accordés par l’État aux différents niveaux d'enseignement.

Je ne me fais hélas pas forcément d'illusion sur le courage politique de gouvernants qui avec des mandats volatils au mieux limités à cinq ans ne peuvent avoir comme objectif que celui de durer au moins quelques mois, et comme perspective une présidentielle qui peut-être remettra tout en question et en particulier leur petite part d'autorité. Ne rien faire, ne pas bouger, ne rien tenter,... ou peu, tels sont les leitmotivs qui tuent l’Éducation nationale. Notre mission est agonisante, en dépit des efforts quotidiens des centaines de milliers de tâcherons que nous sommes, qui voyons s'enfoncer souvent certains de nos élèves sans rien y pouvoir. Qui s'étonnera alors du renoncement, de l'abattement qui nous saisit, de notre fatigue, des difficultés à recruter des forces jeunes, vives et motivées? Il y en aura toujours quelques-uns, bien-sûr, des convaincus, des missionnaires. Mais pour combien de temps?

3 commentaires:

  1. C'était largement prévisible.
    Dans mon école élémentaire, 100 élèves passent 10h par jour à l'école de 8h à 18h. Soit déjà 40h par semaine.
    250 passent au moins 8h de 8h 30 à 16h 30. Soit déjà 32H par semaine.
    Pour tous, on a rajouté les 3h du mercredi. Le compte est facile à faire.
    Sans compter les conditions de vie pour ces enfants, qui lors des TAP, doivent supporter le bruit, les animateurs recrutés à le hâte et le manque de moyens. A ce moment-là, ce sont les pires élèves qui prennent le contrôle de la situation. Comme directrice, je n'essaye plus d'intervenir et les enseignants non plus.
    La fatigue et le grand bazar n'étaient pas difficile à anticiper.
    C'est bien que tu reconnaisses tes erreurs. Seul l'idiot ne change pas d'avis.

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  2. Largement prévisible, non, je ne crois pas. Prévisible dans beaucoup d'écoles, certainement. Pour ce qui me concerne, je pensais réellement que le travail -lourd- effectué en amont permettrait de profiter des aspects positifs de ce "nouveau rythme" sans en avoir les inconvénients. Je veux bien être taxé de naïveté.

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  3. Trois heures d'école en plus....Je crois qu'il faut aussi être assez naïf pour penser que "avant" les élèves restaient tranquillement chez eux le mercredi matin, faisant la grasse matinée et profitant de leurs parents ou de leurs grands-parents... Beaucoup d'entre eux allaient dans les centres sociaux (bruit,collectivité,animateurs plus ou moins qualifiés aussi...)
    En tant que professeur de CM1-CM2, j'apprécie les 5 matinées pendant lesquelles mes élèves semblent plus réceptifs aux apprentissages...
    En tant que directrice d'une école primaire, je constate que ces rythmes sont mal adaptés aux maternelles...
    La mairie assure les TAP le vendredi après-midi, les activités sont de qualité et aucun professeur n'y participe... Moi non plus.
    Bien entendu, une coupure longue pour le WE, ce n'est pas idéal non plus!

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