samedi 21 février 2015

Où cela s'arrêtera-t-il ?

Une collègue directrice a été violemment agressée à Paris. Quel que soit le motif de l'agression, crapuleux peut-être ou non, c'est bien dans le cadre de sa mission que l'agresseur a connu  sa victime, puisqu'il était parent d'élève de l'école qu'elle dirige. De quelque côté que l'on veuille triturer les faits, cela a donc bien à voir avec l'école.

Après le meurtre sauvage d'une collègue de maternelle l'année dernière la veille des vacances d'été, combien d'insultes et de coups ont reçu cette année les enseignants en général, et les directeurs d'école en particulier? Vous ne trouverez certainement pas de compte précis ni de statistique fiable, le ministère de l’Éducation nationale préférant une omerta mortifère à un affrontement cruel des réalités.

Il en est de même pour les suicides. En règle générale il est impossible en France de connaître le nombre réel de ceux qui sont passés à l'acte. C'est encore pire si on cherche à savoir combien mettent fin à leurs jours sur leur lieu de travail. Et quand il s'agit de l’administration en général, et de l’Éducation nationale en particulier, alors là... Vous aurez plus de chance dans une chasse au dahu. Et puis on connait sur le bout des doigts le leitmotiv administratif lorsqu'un corps meurtri est découvert dans une école; à peine l'heure est-elle passée qu'un DASEN mielleux assènera avant toute enquête que la personne concernée avait des problèmes personnels et que son auto-destruction n'a certainement rien à faire avec l'école. Passez votre chemin, il n'y a rien à voir! Je l'ai déjà écrit ici, certes pour se donner la mort il faut que certaines barrières intimes aient lâché, mais pour autant cela peut-il être un hasard qu'un enseignant choisisse sa classe ou les couloirs de son collège pour s'y pendre?

Ce métier d'enseignant, ces missions de professeur ou de directeur d'école, sont exigeants, prenants, phagocytaires. Souvent les collègues s'y donnent cœur et âme. Jusqu'à l'épuisement, ou jusqu'au renoncement. Tel est l'état de l'école aujourd'hui. Les forums spécialisés des enseignants, les groupes Facebook, montrent autant d'enthousiasme pour le métier, sans qu'il soit question d'âge, que de dégoût ou de désabusement.

Comment en est-on arrivé là? Où cela s'arrêtera-t-il?

L'école fut un lieu d'apprentissage de soi-même: un long cheminement, débuté à trois ans, permettait à l'enfant de s'émanciper de sa famille, parce que l'école lui montrait un autre monde, d'autres fonctionnements, d'autres attitudes. L'école apportait compétences et connaissances, construisait des individus qui s'ouvraient à la société et leurs donnait les armes pour s'y bâtir une vie. L'école, à part des croyances et comportements familiaux, enseignait la Liberté.

Elle a perdu ce rôle déterminant lorsqu'on a banalisé son action. Il fallait "épanouir", on noyait le message dans des signaux parasites qui pour la plupart relevaient de la gestion familiale et non pas de l'école: éco-citoyenneté, sécurité routière, anti-racisme... La société entrait à l'école, entrait dans l'école, et avec elle les revendications ou exigences individuelles des familles quant aux méthodes d'enseignement, quant à la qualité l'âge ou l'origine des enseignants, la nourriture dispensée dans les restaurants scolaires ou les projets des établissements. On leur a fait croire qu'elles avaient leur mot à dire et qu'on en tiendrait compte, jusqu'à l'absurdité et à la familiarité qui ont transformé ce qui pour les enfants était un havre sacré indemne des pesanteurs familiales en simple service public pétaudière des scories sociétales. Le mépris a rapidement suivi. Puis les insultes. Puis les coups. Comment peut-on respecter ce qui n'est aujourd'hui qu'un simple "service", bien pratique pour "garder" les enfants, et dont chacun se sent désormais le droit de remettre en cause les méthodes ou les enseignements? On sait l'importance qu'a l'image de l'école pour la qualité des apprentissages, on sait combien la réussite scolaire dépend plus de l'attitude de la famille face à l'école que de l'origine sociale. On perçoit alors la faillite d'un système qu'on a tellement ouvert à tous les vents qu'il en a totalement perdu son identité.

L'école fut un sanctuaire. Le dire ou l'écrire n'est pas pour autant regretter les années trente ou cinquante, ou les blouses que j'ai connues, ou "Le tour de France par deux enfants". C'est simplement rappeler que comme la démocratie repose sur la séparation des pouvoirs, comme la laïcité repose sur la séparation entre ce qui est public et ce qui est privé, l'école doit être séparée de la société. Totalement. Les programmes doivent être nettoyés des immondices qu'on y a déposées au cours des quatre dernières décennies. L'école doit redevenir un lieu un peu mystérieux quasiment réservé à l'élève, où il entre comme en lieu sacré qu'il vénère et lui permet de s'émanciper. L'école doit redevenir un lieu d'intégration sociale par le savoir, où égoïsme et égocentrisme n'ont pas lieu d'exister. Le respect suivra. Respect pour l'école elle-même dont on pourra alors espérer qu'elle relancera l'ascenseur social. Respect pour les enseignants qui redeviendront les acteurs premiers de l'acquisition de la liberté individuelle.

J'imagine que quelques-uns liront mes propos de travers. Ce n'est pas grave. De toute façon l'école est aujourd'hui dans un tel état de déliquescence que je n'ai que très peu d'espoir d'être entendu. En revanche, il me déplairait beaucoup qu'on me prête des idées qui ne sont pas les miennes. Je n'ai aucune nostalgie, pour rien au monde je ne revivrais mes années d'enfance ou d'adolescence, même si elles furent assez heureuses. Comme je ne tiens pas non plus à ce que l'école devienne une forteresse inaccessible aux douves profondes et au pont constamment levé. Mais imaginer comme semblent le faire nos gouvernants successifs qu'ouvrir encore plus l'école aux familles et aux faits de société sauvera l'institution, c'est pour moi creuser encore un peu plus une tombe déjà largement ouverte. Nous sommes au bord du trou et nous vacillons. Je ne serai pas de ceux qui exerceront une dernière poussée. Et vous?

1 commentaire:

  1. Pour vous répondre de façon lapidaire : moi non plus !
    Je me permets une analogie : le néo-libéralisme unanimement partagé (TINA) accroît les inégalités et la paupérisation. Remettons-en une couche, convaincus que "la main invisible du marché" d'Adam Smith résorbera les écarts et profitera à tous. De même, le climat scolaire se dégrade à l'image d'une société malade et qui défaille. Déstabilisons-le encore plus en exigeant de l'école qu'elle gère des problèmes sociaux auxquels elle ne peut rien. Multiplions les effets d'annonces, les réformes, les oukazes, pour montrer que les gouvernants successifs agissent. Charge aux enseignants de se débrouiller avec ce "bougisme" effréné... Un jour, qui sait, peut-être qu'on réalisera que l'école a besoin de retrait et de stabilité pour mieux assurer son travail...

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