dimanche 17 janvier 2016

L'école: un chapelet d'occasions ratées...

Le rapport du 13 novembre dernier du "Comité de suivi pour la loi d'orientation" sur la "refondation" de l'école a été rendu public. Le constat présenté par le député socialiste du Nord Yves Durand - qu'on aurait légitimement du mal à qualifier de "partisan" - est sévère: manque de visibilité ou d'équilibre, incompréhensions, cassures, manque de soutien des acteurs... bref la litanie habituelle des erreurs, retards et ratés des réformes du système éducatif depuis plusieurs décennies, ou l'illustration typique de l'incapacité de l’État à réformer en profondeur un monstre tentaculaire centralisé qu'il ne maîtrise plus depuis belle lurette.

L'histoire de l’Éducation nationale depuis quarante ans n'est qu'un chapelet d'occasions ratées.

Pourtant les constats justes et vérifiables sont légion. Nous ne devons jamais oublier que le premier objectif de l'école est la réussite des élèves. Or l'école est en faillite durable, et exclut avec constance depuis trop longtemps des milliers d'enfants et d'adolescents qui restent sur le carreau et auront d'énormes difficultés à trouver une place dans notre cruelle société. Je ne veux pas être méchant avec une "refondation" qui semblait vouloir prendre la question globalement et à bras-le-corps. Mais nous devons bien constater qu'elle a été maladroite, que son calendrier a été illogique, qu'elle n'a pas été expliquée, que les moyens n'ont pas suivi. Encore une fois on est parti du sommet pour redescendre à la base, au lieu de partir de la base et du consensus réel chez les enseignants de l'inopérance du système; encore une fois on est allé chercher des "solutions" chez de soi-disant spécialistes généralement issus de l'enseignement supérieur ou de la société civile fort éloignés des réalités de l'enseignement sur le terrain; encore une fois on ne s'est pas adressé aux praticiens, ou fort peu, alors qu'existent de nombreuses associations et organisations qui travaillent depuis longtemps sur le sujet de l'efficacité de l'école et y cherchent des remèdes.

Nous avions en 2012 de nombreux sujets majeurs qui interpellaient le monde enseignant: la pyramide éducative jacobine et centralisée, celle que Claude Allègre appelait le "mammouth"; la gouvernance de l'école et ses acteurs locaux, des DASEN aux directeurs d'école; les programmes pléthoriques de l'élémentaire; la "primarisation" de l'école maternelle et le rejet des "deux ans"; le point faible représenté par un collège exclusif plutôt qu'inclusif; l'absence d'interdisciplinarité; etc. Les rythmes scolaires n'étaient pas, loin de là, en tête de nos préoccupations. C'est bien pourtant par cet axe clivant et discuté que Vincent Peillon a voulu débuter la réforme. C'était une erreur fatale, un piège qui prendra temps et argent, qui dressera les uns contre les autres pendant plusieurs années et accentuera les multiples inégalités territoriales, pour un résultat final plus que discutable qu'il faudra bien mettre à plat prochainement tant ça ne fonctionne pas ou mal. Écrire également ici que mettre sur le même pied des enfants de trois ans et de dix ans est une absurdité ne me parait pas incongru. Mais baste! M. Peillon s'est accroché à ses rythmes comme une sangsue sans vouloir entendre que la priorité était ailleurs, dans les programmes ou le collège. Tant pis. Encore une occasion ratée. Car si la "refondation" a bien tenu compte des programmes et de l'interdisciplinarité au collège, elle l'a fait selon un calendrier absurde, mettant la charrue avant les bœufs et faisant la sourde oreille. Combien avons-nous été à avertir le Ministère, de trente-six façons? Mais il n'est pire sourd...

C'est même à un ribambelle de maladresses que nous avons pu assister. Comment pouvait-on imaginer en haut lieu qu'un changement quelconque pouvait être compris et appliqué s'il n'était expliqué, commenté, et surtout assisté financièrement? Ne pas prévoir qu'il est nécessaire de renouveler la formation des agents de terrain, et surtout la formation continue aujourd'hui quasi inexistante, est une profonde bêtise qui ne peut entraîner que le refus voire dresser contre soi des enseignants humiliés, infantilisés, négligés.

Nous observons donc aujourd'hui une "refondation" avortée, brinquebalante, des mesurettes inopérantes, malgré les réels efforts des professionnels qui ont tenté vaillamment de s'approprier la réforme. La gouvernance de l'école n'a pas changé, le collège ne bougera que très peu, les programmes... ah non, pas arrivés les programmes. Tant de gesticulations pour si peu. Tant d'argent dépensé pour un résultat si mince. Les personnels sont exsangues, leur travail s'est compliqué, leurs missions se sont alourdies, chacun est désabusé, dégoûté, fatigué. Les directeurs d'école sont épuisés car rien n'a changé, si ce n'est en pire. Les IEN ne savent plus où donner de la tête alors qu'ils sont contraints de négliger leur mission première, soit la pédagogie. Le collège continuera à exclure toujours autant. C'est un ratage, malgré les déclarations exubérantes d'une ministre certes courageuse mais qui n'a fait qu'hériter d'un soufflé informe et totalement dégonflé.

Quant à la bête immonde, le diplodocus éducatif, le mammouth à la couche de graisse de plus en plus épaisse... la chose est toujours là, arrogante et dépensière, mais ne se déplace plus que par intermittence, lorsqu'elle arrive à lever une patte. J'espère pouvoir prendre ma retraite avant qu'elle ne s'effondre totalement sous sa propre suffisance.

2 commentaires:

  1. L'art de dire tout haut ce que de moins en moins d'enseignants pensent tout bas ... Notre maison est vieille et désuète, sa gouvernance est à bout de souffle, son fonctionnement obsolète ... Enseignant depuis l'âge de 17 ans, j'aime mon métier de professeur des écoles et ma fonction de directeur. D'ailleurs je crois que je n'aurais pas su faire autre chose. Dans un an et demi je serai probablement à la retraite et je regrette de devoir partir sans connaître un autre fonctionnement, plus proche de la réalité de ce monde qui bouge: une école plus autonome, une école qui vit sur son territoire et qui est force de propositions. L'école n'est plus un bastion imprenable où règne la loi obscure de l'éducation nationale qui n'accepte aucune contradiction ...Le mammouth est gras et arrogant mais n'oublions pas que son ancêtre qu'il soit méridional, des steppes ou laineux a disparu faute de ne pouvoir s'adapter au milieu dans lequel il vivait ....

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  2. Merci pour ce constat, accablant mais ô combien juste...
    Je discutais tout à l'heure avec un vieux monsieur, président du club d'échecs du village, qui s'occupe de 6 gamins pendant les NAP cette période...
    Il dit que les nouveaux rythmes sont en train de tuer les petites associations... et je pense qu'il a raison...
    Il n'y a pas que l'école, ses personnels et ses élèves qui souffrent de ces ratages... et c'est bien dommage...
    Il me reste pour ma part encore quelques années à tenir (au moins 13... peut-être plus) mais je désespère de voir arriver des réformes qui aillent dans le bon sens... c'est-à-dire pensées avec bon sens...
    Bon courage, collègue !

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