vendredi 6 mai 2016

65 millions de spécialistes...

Le gouvernement a voulu cette semaine présenter un bilan de la "Refondation" initiée en 2012 par Vincent Peillon. Nous avons bien entendu assisté à une sorte de "show" à l'américaine dont j'avoue qu'il était assez bien vu. Somme toute, le présent gouvernement n'a pas à rougir de ce qui a été fait depuis quatre ans, j'ai trop présent en mémoire le souvenir des sinistres années Darcos pour ne pas apprécier les nouveaux programmes, les créations de postes, l'initialisation d'une réforme indispensable du collège, ainsi que d'autres mesures passées inaperçues auprès du grand public mais qui nous allègent un peu le travail sur le terrain. Avec les opinions politiques qui sont les miennes, je ne devrais peut-être pas l'écrire, mais avoir des idées n'interdit pas l'honnêteté, et sur ce sujet de l'éducation il faut bien avouer que le courage fut "de gauche", qui fit ces dernières années une grande partie de ce que "la droite" n'avait pas osé faire, et tenta également de réparer une partie des indiscutables âneries des années 2007-2012. Mais ce n'est pas vraiment le propos de ce billet, d'autres que moi ont proposé ces jours-ci des bilans autrement mieux écrits que ce que je pourrais faire, comme par exemple Philippe Watrelot qui outre une connaissance quotidienne du terrain fait toujours preuve d'une facilité d'écriture qui m'épate comme d'une conscience claire des réalités. Bref, c'est à lire pour garder la tête saine et froide sur le sujet! Quatre billets sur ce lien...


Le gouvernement a profité de l'occasion pour annoncer un alignement de l'indemnité ISAE du primaire - qu'il avait lui-même créée il y a deux ans - avec l'ISOE du secondaire. Aujourd'hui que tous les enseignants, quel que soit leur niveau d'enseignement, sont recrutés sur les mêmes bases et ont la même formation, la différence de rémunération était absurde. La voilà réparée. Je m'abstiendrai de signaler les râleurs invétérés - il y en a toujours -, la "droite" elle-même ayant préféré fermer sa grande gu[...] sur le sujet. Il faut dire que la rémunération des enseignants français, largement inférieure à celle des autres enseignants de l'OCDE, est un vrai sujet de honte pour elle qui malgré sa connaissance du problème n'a rien fait pendant ses années de pouvoir pour y remédier, transformant avec indifférence ou dédain les passeurs de savoir en une classe paupérisée sans avenir et déprimée. Bien sûr, même si les indemnités - et non les "primes" comme en parlent les médias - rentrent dans le calcul de la RAFP (Retraite Additionnelle de la Fonction Publique), je préfèrerais pour ma part qu'elle s'intègrent pleinement dans le calcul de la pension de retraite. Mais c'est ce vers quoi, entre autres, s'oriente le travail du gouvernement, avec certaines mesures du plan PPCR (Parcours professionnels, Carrières et Rémunérations), le grand chantier de la fonction publique visant à unifier et simplifier le grand puzzle coloré et inéquitable des parcours professionnels des fonctionnaires. Il reste des mois de travail, et je suis persuadé que de nombreuses bonnes surprises nous attendent encore. Encore une fois, je l'avoue, le courage est "de gauche". Je salue aussi le boulot remarquable de Mme Vallaud-Belkacem dont j'avoue qu'elle m'épate! Si je regarde les ministres qui se sont succédé à l’Éducation nationale depuis vingt ans, il n'en est guère que trois qui surnagent dans mon bon souvenir: elle-même, M. Peillon et M. de Robien. C'est peu. Je ne cite pas les monstres, bien entendu, ni les incompétents, les feignasses ou les trouillards, parce que là j'aurais trop de noms à écrire, certains même ayant cumulé. Bref...


Les médias s'en sont donné à cœur joie avec ce bilan de la "Refondation" (j'ai quand même encore du mal à écrire ce mot que je trouve fort prétentieux). Mais il n'y comprennent pas grand chose à part l'aspect financier de la question. Heureusement, l'idée à finit par s'imposer dans l'esprit des journalistes que les enseignants français sont vraiment mal payés, comme la vague idée que c'est un peu honteux pour un pays comme le nôtre. Il n'y a donc eu que peu ou pas de reproche sur ce point, si on excepte les commentaires festifs des lecteurs des sites internet des quotidiens, dont vous connaissez la teneur sans avoir besoin de les lire: enseignants feignants, incompétents, toujours en vacances, mieux payés que moi qui suis maçon/retraité/chômeur ou autre - rayez la mention inutile-. Le tout venant habituel, quoi, tant il est vrai que nous avons dans notre pays 65 millions de spécialistes de l'éducation qui ont tous leur solution (comme si moi-même, qui ai passé ma vie chez le dentiste, me présentais comme spécialiste en odontologie), cette solution d'ailleurs étant généralement celle de "revenir" à l'école d'antan (à ce sujet, il y a un excellent billet ici).


Du coup les médias se sont pour une fois intéressés à l'aspect technique de ce bilan, et ont fait appel aux habituels "spécialistes" de l’Éducation. Citons pour mémoire parmi ceux-ci l'inénarrable Sébastien Sihr qui me fait toujours hurler de rire, son syndicat que par charité je m'abstiendrai de nommer ayant repris à son compte et s'étant vanté de l'alignement d'une indemnité qu'il avait conchiée il y a seulement deux ans. Les centrales syndicales SGEN-CFDT et SE-UNSA, qui elles avaient signé le protocole d'accord, ont bien fait de le rappeler.

J'ai donc lu et écouté avec attention et circonspection un certain nombre d'interventions. Parmi celles-ci je dois citer sur France-Culture (à écouter ici) Florence Robine de la DGESCO, dont je reconnais les compétences mais qui a bien du mal à quitter sa position officielle pour entendre d'éventuelles reproches surtout si l'on parle des blocages à répétition d'un système éducatif français jacobin et pyramidal, et Philippe Watrelot (oui, encore lui) qui m'a donné le titre de ce billet.


Car je dois encore une fois ici dénoncer les faillites du système. Autant je suis persuadé de la bonne volonté, et de la volonté tout court, de ce gouvernement et de ce présent ministère pour changer les choses, autant il faut bien reconnaître que les discours comme les actes ne sont que peu suivis d'effet. Les tentatives d'évolution sont constamment bloquées par les baronnies locales qui ne voient souvent dans les mesures proposées que des atteintes à leur pouvoir ou à leur confort: DGESCO, recteurs, directeurs académiques, proviseurs, principaux, IENs, centrales syndicales, jusqu'aux professeurs eux-mêmes parfois... souvent. Pourtant nous savons tous que le système est inopérant, nous le déplorons, nous le stigmatisons! Mais que faisons-nous pour le rendre efficace, si chaque proposition est systématiquement décriée par l'un ou l'autre au nom de tout et de rien? Quand on discute "en haut lieu", on nous avoue la surprise de se heurter à des obstacles insidieux et imprévus, et l'impossibilité de les surmonter; des recommandations, des circulaires, se perdent dans les limbes de la pyramide institutionnelle, sont au mieux ignorés, au pire récusés ou détournés. On a souvent dit et écrit que l’Éducation nationale était irréformable. Ce n'est pas forcément une idée fausse.


Il n'est donc comme solution pour un gouvernement volontaire que de procéder autrement, soit de procéder à des réformes brutales qui passent par des décrets ou des textes de Loi. C'est en partie ce que personnellement j'ai cru percevoir dans les discours de Mme Vallaud-Belkacem ou de M. Valls. Il leur reste une dizaine de mois pour faire ce qu'ils estiment devoir être fait. Vincent Peillon avait perdu du temps au début de son mandat. Un gouvernant bénéficie de deux périodes clés pour son action, celui de l' "état de grâce" des six premiers mois, quand les adversaires politiques sont au tapis, et celui des six derniers mois, quand il n'y a plus grand chose à perdre. J'espère donc bien que certaines réformes seront faites, certaines mesures indispensables prises, dans les semaines et mois qui viennent et précèdent les prochaines présidentielles dont on nous rebat les oreilles depuis plus d'un an.


Je plaide évidemment en grande partie pour ma paroisse. Celle du directeur d'école que je suis, qui aurais bien besoin d'une reconnaissance institutionnelle qui me donnerait les moyens de mon action quotidienne. Le gouvernement avait par exemple lancé un ballon d'essai en demandant aux académies de mettre en place une simplification administrative. Elle a été honnêtement faite en quelques endroits, est restée lettre morte ailleurs malgré les rappels pourtant comminatoires. Et soyons clairs: ce ne sont pas les minces mesurettes proposées et passées sous les fourches caudines syndicales qui changeront quelque chose à la désastreuse situation des directeurs d'école. J'escompte donc des décisions "chocs" prochaines quant à la distinction (au sens premier du terme) dont nous avons besoin, tant dans la reconnaissance de notre importance, institutionnelle et financière, que dans les moyens qui nous seront donnés. Nous avons besoin d'avoir les mains libres! Nous sommes les mieux à même de connaître les besoins matériels et pédagogiques de nos élèves, de notre école; nous sommes les mieux à même de trouver des solutions, d'élaborer des plans et des projets adaptés. Ce qui nous tient tous à cœur, c'est la réussite de nos élèves, et elle ne passe pas forcément par les lubies d'un tel ou d'une telle, qu'il s'agisse de la DGESCO ou d'un recteur ou d'un DASEN ou d'un IEN. Chaque école est différente et unique, avec un public différent et unique, des besoins spécifiques. Qui, autre que nous, pourrait se targuer de connaître notre école et son public?


Une fois n'est pas coutume, je suis optimiste. Le printemps enfin présent y est peut-être pour quelque chose, même si je suis surchargé de tâches diverses et variées, parfois ingrates, entre ma classe et ma mission de direction. Mais je crois que le temps est venu pour de réels changements. Il ne faudrait pas laisser se refermer cette fenêtre d'opportunité. Sinon, j'ai bien peur qu'un éventuel retournement en mai 2017 ne soit pour l'école telle que je l'imagine qu'un enterrement de première classe.


PS: tous les dessins de ce billet ont été faits par mes élèves il y a quelques années...

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