jeudi 7 juillet 2016

Ce singulier métier à forte responsabilité...

Je reviens, en ce début de vacances, sur une affaire qui a défrayé la chronique au mois de mai dernier. Une élève de l’école maternelle de Villers-les-Pots, en Côte d'or, avait passé la journée seule dans sa classe, oubliée au moment du départ d’un voyage scolaire. Il ne faudrait pas minimiser les faits: l'enfant de quatre ans passera près de huit heures seule, sans manger ni boire, et ne sera retrouvée qu'au retour du groupe à 17 heures.

L'enseignant responsable de la classe était un "remplaçant" et connaissait mal les élèves. Il est pour l'instant "suspendu", et ne connaîtra son sort qu'après la rentrée de septembre. Peut-on lui en vouloir? Strictement oui, savoir qui est présent et compter les élèves puis les recompter sans cesse est une des bases de ce métier. Concrètement on pourrait peut-être lui trouver des excuses de par sa place particulière dans l'école à ce moment-là. La Commission Paritaire devra prendre une décision.

Pour l'instant la première mesure de rétorsion vise la Directrice de l'école. La décision a été prise le 4 juillet en Commission de la démettre de ses fonctions. Elle redeviendra adjointe et sera rayée de la liste d'aptitude en dépit d'une carrière exemplaire. Il était également question de lui infliger un "blâme" administratif, mais il semble que l'idée ait été abandonnée, ou du moins n'ait pas été exprimée lors du vote. Il faut dire que la Direction Académique a été surprise des réactions que ses propositions de sanctions ont suscité, pas tant de la part des syndicats qui défendent très logiquement les personnels, mais plutôt des familles de l'école de Villers-les-Pots qui ont défendu "leur" Directrice becs et ongles! Très appréciée, les parents d'élèves ont obtenu qu'elle ne soit pas déplacée et puisse continuer à enseigner dans la commune, ce qui était en fait l'unique souhait de la collègue sanctionnée. Je m'en réjouis pour elle, et pour les familles de l'école qui ont su voir au-delà de l'incident pour apprécier ses qualités humaines et d'enseignante.

Mais cela amène de ma part deux réflexions. D'abord sur la compliquée mission de Direction d'école, dont aujourd'hui encore chacun ignore l'énorme responsabilité qui pèse sur nos épaules. Les textes sont extrêmement clairs: le Directeur est responsable de la sécurité des personnes et des biens. Ce qui veut tout dire. Le Directeur est in fine le seul et unique responsable de tous les manquements à la sécurité qui surviennent à l'école pendant le temps scolaire, voire même hors temps scolaire s'il était avéré que la cause d'un accident fut un manquement au devoir de prévoyance. Il faut le savoir et en prendre pleinement conscience lorsqu'on décide d'assumer une telle mission. Il ne s'agit pas de se contenter de procéder à des évacuations diverses selon un schéma pré-établi, cela implique aussi de penser à tout ce qui peut arriver dans une école à l'immobilier parfois mal tenu, au matériel souvent dangereux, à des produits d'entretien qui ne seraient pas sous clef, etc. Il faut veiller à tout, rester aux aguets, vérifier que les consignes sont respectées... La charge est lourde, mais primordiale. J'insiste: c'est notre première responsabilité. Heureusement pour celle-ci nous avons deux alliés de poids: le Maire et l'IEN, que nous ne devons jamais hésiter à mettre en mouvement si cela est nécessaire.

Dans l'affaire qui nous préoccupe et dans cette optique de responsabilité indissociable, il est donc logique que notre collègue soit sanctionnée. Elle n'a d'ailleurs aucunement protesté, ce qui est tout à son honneur, et de plus cette sanction lui permettra peut-être à terme d'oublier ce triste manquement qu'elle est je suis sûr la première à se reprocher. De ce point de vue je pense que le soutien des familles de l'école lui aura été cher. Une mère d'élève de l'école a déclaré récemment dans un quotidien local: "Personnellement et sans minimiser l'erreur qui a été faite, je trouve cette sanction plus qu'injuste car il y a certes une responsabilité à assumer en tant que directrice mais pas à ce point-là!" Eh bien si, justement, mais je ne peux pas reprocher à une famille d'ignorer les textes de base qui régissent notre mission. En revanche, que certaines centrales syndicales fassent mine de ne pas les connaître m'indispose. Qu'un responsable local puisse écrire que "Bien qu'il y ait eu un dysfonctionnement (une élève a été oubliée), nous avons fermement condamné la sanction de retrait d'emploi qui nous semble disproportionnée, surtout qu'il ne s'agissait pas de la classe de la directrice.", ou pire pour un autre qu' "En sanctionnant la directrice de cette école, l’administration envoie un signal négatif fort à tou-te-s les directeurs-trices d’école: ils-elles pourront être sanctionné-es pour des actes ou incidents ne relevant pas de leur responsabilité.", cela m'agace beaucoup, car cela me parait une claire volonté de nier la Loi et surtout la singularité du merveilleux et difficile métier - car c'en est un - de Directeur d'école. Nous sommes dans une logique de refus de considérer la Direction d'école comme une mission spécifique, avec des responsabilités spécifiques et des besoins spécifiques, et évidemment à terme la nécessité d'un changement clair de la définition de notre métier, de la façon de le reconnaître institutionnellement et salarialement, bref de son statut - le gros mot est écrit! -.

La seconde réflexion que ces tristes évènements suscitent en moi, c'est que comme Directrice ou Directeur d'école nous devons reconsidérer avec prudence et recul le prétendu besoin de "sorties scolaires". Il ne s'agit pas de sacrifier les sorties à visée sportive (je continue à aller à la piscine avec mes élèves de cinq ans) ni celles qui peuvent avoir un intérêt pédagogique dans le cadre précis du Projet d'école. Non, je ne parle évidemment que des sorties plutôt récréatives comme celles que beaucoup d'écoles pensent de leur devoir d'effectuer en fin d'année scolaire. Ces sorties réclament un engagement fort que pour ma part depuis longtemps je refuse d'assumer malgré les demandes parfois pressantes des familles qui veulent nous accompagner... et ne s'occuperont parfois que de leur propre enfant au détriment de la sécurité affective ou effective des autres. Mes parents d'élèves sont invités plusieurs fois par an à l'école pour participer à des actions qui leur permettent de travailler avec nos élèves, cela suffit en ce qui me concerne. Il faut avouer que peut-être je me rappelle trop, sur l'école que je dirige aujourd'hui, d'un incident survenu il y a vingt-cinq ans quand la précédente collègue avait oublié un groupe d'enfants et d'accompagnateurs au retour d'un voyage récréatif dans un zoo de la région, à deux cent kilomètres tout de même, pour s'en rendre compte à l'arrivée. Et puis, franchement, je ne vois pas l'intérêt de telles sorties. Pourtant j'en ai fait pendant des années (blessures diverses), des classes de neige aussi (poignets cassés, chevilles foulées)... Plus envie. Peut-être parce que nos élèves ont changé? La façon de nous tomber dessus pour la moindre égratignure certainement aussi. Pensez-y quand vous signez une autorisation de sortie sans nuitée à un adjoint dont vous n'êtes pas totalement assuré des compétences en matière de sécurité... La confiance, c'est important. La prudence aussi. N'oubliez jamais: le Directeur, c'est vous!

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