dimanche 16 octobre 2016

Les cheveux blanchis dans la carrière...

L'un des inconvénients majeurs de notre métier d'enseignant du primaire est la totale absence de perspective de carrière. Qu'on ne vienne pas me dire que devenir Directeur d'école en est une tant ce second métier, qui s'ajoute au premier au lieu de le remplacer, est peu payé et peu considéré. Devenir dans le secondaire principal de collège ou proviseur offre une autre visibilité, et surtout augmente largement le salaire ou traitement, alors que le Directeur d'école doit lui être simplement "indemnisé", et dans une proportion humiliante. Je n'évoquerai même pas les fonctions de CPC ou autre "référent" quelconque, qui en fin de compte n'apporte comme amélioration - si l'on peut dire - que celle de ne plus être face à des élèves. On peut discuter sur cette dernière opportunité, il est vrai qu'arrivé mon âge les enfants deviennent réellement une fatigue quotidienne. Mais les tâches concernées sont à mon avis peu gratifiantes si l'on compare à la joie que peut apporter l'enseignement en face à face. Que celui qui n'a jamais connu le bonheur de sortir de l'échec un de ses élèves me jette la première pierre.

Aujourd'hui le Directeur d'école a comme perspective d'accéder à un grade supplémentaire, la fameuse "classe exceptionnelle" qui fait grincer les dents de certains syndicats qui détestent qu'une tête sorte du rang. Bien sûr il faudra avoir exercé cet apostolat durant huit années au moins, et encore au départ faudra-t-il postuler. Mais d'ici quatre ans il est certain que de nombreux Directeurs et Directrices d'école accéderont rapidement à ce grade qui leur offrira un meilleur salaire et des perspectives plus intéressantes, de quoi peut-être inciter les jeunes enseignants à vouloir exercer cette fonction parfois ingrate mais aussi souvent enthousiasmante. C'est une bonne chose, car de très nombreux Directeurs d'école prendront leur retraite dans les cinq ans à venir.

J'en fais partie. Cette fois ça y est, j'ai fait mes calculs, pour ne pas quitter ma mission avec une pension ridicule il me fallait soigneusement prendre en compte tous les éléments qui sont en ma possession, et opérer quelques prospectives quant aux années à venir. J'ai toujours dit partout que je ne ferais pas de "rab", tant je me sens fatigué, phagocyté, exsangue, vampirisé au quotidien par mes deux missions simultanées, soit ma classe de maternelle à temps plein et une direction d'école certes favorisée dans un secteur agréable, mais néanmoins chronophage et énergivore.

Mes calculs sont clairs: ayant intégré l' École Normale à dix-huit ans je peux raisonnablement "partir" en 2018, soit à 57 ans - j'ai été instituteur dix-huit ans - avec une pension modérée mais acceptable, qui sera un peu meilleure si on m'accorde un passage dans la "classe exceptionnelle". C'est un soulagement. Réel et palpable. J'aurai quand même à ce moment-là trente-neuf ans de carrière. Oui, les fameux cheveux blanchis, c'est un fait, ou plutôt grisâtres si je veux être honnête (ouais, je sais, ce n'est pas fameux comme couleur ou nuance).

J'ai également constaté que si je faisais des années supplémentaires par rapport à ces fameux 57 ans, je toucherais une pension mensuelle d'approximativement 130 € nets supplémentaires par mois. C'est beaucoup, mais cela vaut-il la peine que je ressens aujourd'hui? Devrais-je sacrifier ma santé, au prix peut-être d'une vie raccourcie? J'espère avoir dans les années à venir des petits-enfants, j'aimerais pouvoir leur consacrer du temps, car il est vrai que j'aurai exercé mon métier avec honneur et avec bonheur tant j'aime les enfants, tant je comprends à quel point ils ont besoin d'amour pour grandir avec sérénité. De l'amour j'en ai beaucoup donné pendant de longues années, il serait injuste que je ne puisse en accorder au moins autant à ma propre famille.

Pour l'instant je me donne donc 2018 comme réjouissante perspective. Ce qui ne signifie pas que selon les circonstances je n'en ajouterais pas une couche. Mais il faudrait certainement une conjoncture très particulière, et des conditions si favorables que j'ai du mal à me les représenter dans les présentes circonstances d'une élection Présidentielle dont la plupart des potentiels vainqueurs ne me paraissent que très peu favorables à ma mission. C'est un sport très couru aujourd'hui, celui de briser des fonctionnaires pourtant obéissants et impliqués. Le jeu n'en certainement donc pas la chandelle. C'est également l'avis de mon épouse, qui se réjouit d'avance autant voire plus que moi à l'idée de ne plus me voir rentrer épuisé chaque soir, parce que c'est ce qui se passe maintenant. D'autant que je dois également avouer que je sens dans mon, pardon dans mes métiers, l'atmosphère changer.

Effectivement je perçois une dégradation de la perception de l'école chez mes parents d'élèves. C'est tout nouveau, et je rappelle que je travaille dans un secteur plutôt favorisé. Il y a un "je ne sais quoi", un changement d'ambiance, une propension à remettre en cause nos décisions et nos façons de faire, une réticence quant à nos objectifs... Je ne crois pas au hasard, j'incrimine le dénigrement systématique dont nous faisons l'objet depuis des années tant de la part des politiques que des médias, qui amène une suspicion qui malheureusement se généralise. Et puis les tensions s'exacerbent, je crois n'avoir jamais tant constaté d'agressions sur les enseignants et les Directeurs d'école qu'en cette première période d'année scolaire. Je vais certes mettre les points sur les i, c'est mon rôle de dirlo, mais c'est encore de l'énergie dépensée bêtement alors que nous avons tant à faire. Ainsi cela me conforte dans mon idée de ne pas rester là plus que nécessaire.

Je viens donc de faire peut-être mon avant-dernière rentrée. Quand je serai parti je suppose que l'école continuera à "tourner", je n'ai pas la prétention de croire que je ne suis pas remplaçable. Ce sera certainement pour moi difficile, tout autant que ce sera facile en fin de compte. Les loupiots, les loupiotes, me manqueront énormément, leurs sourires, leurs rires, leurs pleurs, leurs câlins, leurs questions, leurs craintes, leurs joies, leur totale confiance en moi surtout...

1 commentaire:

  1. Comme je comprends ton besoin (car à ce niveau-là c'est un besoin et pas seulement une envie) de partir. Quand j'ai passé le concours à 40 ans, je pensais partir à 55 ans puisque j'avais 3 enfants, malheureusement, après avoir supprimé la retraite à 55 ans pour les instits quand ils ont fait le corps des PE, ils ont ensuite supprimé le fait de pouvoir prendre sa retraite après 15 ans de service quand on a 3 enfants ! Mais comment va-t-on faire pour tenir si longtemps (jusqu'à 62 ans au minimum) si même toi qui est un instit directeur chevronné, bien formé (à l'époque oui, la formation continue sur temps de service ça existait, et ça permettait en plus de se former de rencontrer des collègues, d'échanger sur sa pratique, de sortir la tête du guidon et d'éviter le burn-out) tu n'y arrives pas ? En plus avec la dégradation continuelle des conditions de travail, je n'ose même pas imaginer comment cela sera dans 5 ou 10 ans !

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